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L’HÉRITIER DU DIABLE.

De tous ces dires et rumeurs, il conste que le vieulx chanoine, diable ou non, demeuroyt en son logiz, ne vouloyt point trespasser, et avoyt trois héritiers avecques lesquels il vivoyt comme avecques ses sciaticques, maulx de reins et aultres despendances de la vie humaine. Desdicts trois héritiers, ung estoyt le plus maulvais souldard qui feust yssu d’ung ventre de femme, et il avoyt deu bien deschirer l’estoffe de sa mère en cassant sa cocquille, veu qu’il estoyt sorty de là avecques des dents et du poil. Aussy mangioyt-il aux deux temps du verbe, le présent et l’advenir, ayant des garses à luy, dont il payoyt les escoffions ; tenant de l’oncle pour la durée, la force et le bon usaige de ce qui est souvent de service. Dans les grosses batailles, il taschoyt de donner des horions sans en recevoir, ce qui est et sera tousiours le seul problesme à resouldre en guerre ; mais il ne s’y espargnoyt iamais ; et, de faict, comme il n’avoyt point d’aultre vertu, hormis sa bravoure, il feut capitaine d’une compaignie de grans lances et fort aymé du duc de Bourgongne, lequel s’enqueroyt fort peu de ce que faisoyent aliàs ses souldards. Cettuy nepveu du diable avoyt nom le capitaine Cochegrue ; et ses créanciers, les lourdiers, bourgeoys ou aultres dont il crevoyt les poches, l’appeloyent le Mau-cinge, veu qu’il estoyt malicieux autant que fort ; mais il avoyt de plus le dos guasté par l’infirmité naturelle d’une bosse, et il ne falloyt point faire mine de monter dessus pour voir plus loing, car il vous auroyt navré, sans conteste.

Le secund avoyt estudié les Coustumes, et, par la faveur de son oncle, estoyt devenu bon procureur et plaidoyt au Palais, où il faisoyt les affaires des dames que iadis le chanoine avoyt le mieulx confessées. Cettuy-là se nommoyt Pille-grue, pour le railler sur