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CONTES DRÔLATIQUES.

— Ce n’est mon compte ! dit le père, qui avoyt desià prins l’hostel en goust. Ie te le donne pour espoux. Accordez vos musiques. Cela maintenant le resguarde, et son office est de t’agréer.

— Est-ce ainsy ? feit-elle. Eh bien, devant que de vous obéir, ie luy diray son faict.

Et le soir mesme, après souper, lorsque l’amoureux commença de luy exposer son cas bruslant, luy desclairant comme il estoyt féru d’elle, et luy promettant grant chiere pour le demourant de sa vie, elle luy respondit de brief :

— Mon père vous ha vendu mon corps ; mais, si le prenez, vous ferez de moy une gouge, veu que i’aymeroys mieulx estre aux passans qu’à vous. Ie vous iure, au rebours des damoiselles, une desloyauté qui ne finira que par mort, vostre ou mienne.

Puis se mit à plourer, comme font toutes les garses qui ne sont point encores ferrées ; car, après, elles ne plourent plus iamais par les yeulx. Le bon advocat print ces estranges fassons pour des gogues et appasts dont se servent les filles affin d’allumer davantaige le feu et faire tourner les dévotions de leurs prétendus en douaires, préciputz et aultres droits d’espousée ; aussy, le malin n’en tint compte, et se rit des estouffades de la belle fille, en lui disant :

— A quand les nopces ?

— Drez demain, feit-elle, pour ce que, plus tost ce sera, plus tost seray libre d’avoir des guallans et de mener la ioyeulse vie de celles qui ayment à leur choix.

Là-dessus, ce fol advocat, esprins comme ung pinson dedans la glue d’ung enfant, s’en va, faict ses préparatives, interlocute au Palais, trotte à l’Official, achepte dispenses, et conduict ce pourchaz plus vitement que toutes ses aultres plaidoyeries, ne resvant que de la belle fille. Pendant ce, le Roy, qui se trovoyt du retourner d’un voyaige, n’entendant parler en sa court que de la belle fille, laquelle avoyt refusé mille escuz de celluy-cy, rabbroué celluy-là, finablement, qui ne vouloyt estre soubmise par personne et rebuttoyt tous les plus beaulx fils qui eussent quitté Dieu de leur part de paradiz à seule fin de iouir de ce dragon un seul iour ; doncques, le bon Roy, lequel estoyt friand de tel gibier, yssit en la ville, passa aux forges du pont, entra chez l’orphebvre, à ceste fin d’achepter des ioyaulx pour la dame de son cueur, mais item pour marchander le plus prétieux biiou de la bouticque. Le Roy ne se trouvoyt point de goust aux orpheb-