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CONTES DRÔLATIQUES.

— Ho ! ma mère, i’ay à vous parler. I’ay veu en la court ung pelerin qui m’ha pris bien fort.

— Ha ! s’escria la chastelaine, en se virant devers ung sien serviteur, qui avoyt charge de suyvre le ieune comte et veigler sur ses iours prétieux, ie vous avoys deffendu à tout iamais de laisser mon fils aux mains d’estrangiers, voire mesmes en celles du plus sainct homme du monde… Vous quitterez mon service…

— Hélas ! ma dame, respondit le vieil escuyer tout pantois, celuy-là ne luy vouloyt point de mal, pour ce qu’il ha plouré en le baisant bien fort…

— Il ha plouré ? feit-elle. Ah ! c’est le pere !

Ayant dict, elle pencha la teste sur la chaire où elle estoyt sise, et qui, pensez-le bien, estoyt la chaire où elle avoyt péché.

Oyant ce mot incongreu, les dames feurent si surprinses, que, de prime face, elles ne veirent point que la paouvre senneschalle estoyt morte, sans que iamais il ayt esté sceu si son brief trespas advint par peine de la departie de son amant, qui, fidelle à son vœu, ne la vouloyt point veoir, ou par grant ioye de ce retourner et de l’espoir de faire lever l’interdict dont l’abbé de Marmoustier avoyt frappé leurs amours. Et ce feut ung bien grant deuil, car le sire de Iallanges perdit l’esprit au spectacle de sa dame mise en terre, et se feit religieux à Marmoustier, que, dans cettuy temps, aulcuns nommoyent Maimostier, comme qui diroyt maius Monasterium, le plus grant moustier, et, de faict, il estoyt le plus beau couvent de France.


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