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URSULE MIROUET.

— Si sa mère paye pour lui, il se sera mis sur la paille, et je ne sais pas de pire correction pour un noble que d’être sans fortune.

Cette réponse rendit Ursule pensive : elle essuya ses larmes et dit à son parrain : — Si vous pouvez le sauver, sauvez-le, mon parrain ; ce service vous donnera le droit de le conseiller : vous lui ferez des remontrances…

— Et, dit le docteur en imitant le parler d’Ursule, il pourra venir ici, la vieille dame y viendra, nous les verrons, et…

— Je ne songe en ce moment qu’à lui-même, répondit Ursule en rougissant.

— Ne pense plus à lui, ma pauvre enfant ; c’est une folie ! dit gravement le docteur. Jamais madame de Portenduère, une Kergarouët, n’eût-elle que trois cents livres par an pour vivre, ne consentirait au mariage du vicomte Savinien de Portenduère, petit-neveu du feu comte de Portenduère, lieutenant général des armées navales du roi et fils du vicomte de Portenduère, capitaine de vaisseau, avec qui ? avec Ursule Mirouët, fille d’un musicien de régiment, sans fortune, et dont le père, hélas ! voici le moment de te le dire, était le bâtard d’un organiste, de mon beau-père.

— Ô mon parrain ! vous avez raison : nous ne sommes égaux que devant Dieu. Je ne songerai plus à lui que dans mes prières, dit-elle au milieu des sanglots que cette révélation excita. Donnez-lui tout ce que vous me destinez. De quoi peut avoir besoin une pauvre fille comme moi ? En prison, lui !

— Offre à Dieu toutes tes mortifications, et peut-être nous viendra-t-il en aide.

Le silence régna pendant quelques instants. Quand Ursule, qui n’osait regarder son parrain, leva les yeux sur lui, son cœur fut profondément remué lorsqu’elle vit des larmes roulant sur ses joues flétries. Les pleurs des vieillards sont aussi terribles que ceux des enfants sont naturels.

— Qu’avez-vous ? mon Dieu ! dit-elle en se jetant à ses pieds et lui baisant les mains. N’êtes-vous pas sûr de moi ?

— Moi qui voudrais satisfaire à tous tes vœux, je suis obligé de te causer la première grande douleur de ta vie ! Je souffre autant que toi. Je n’ai pleuré qu’à la mort de mes enfants et à celle d’Ursule. Tiens, je ferai tout ce que tu voudras ! s’écria-t-il.

À travers ses larmes, Ursule jeta sur son parrain un regard qui fut comme un éclair. Elle sourit.