Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
71
URSULE MIROUET.

Une joie d’héritiers trouvant des monceaux d’or éclata par des sourires, par des haut-le-corps, par des gestes autour de la table qui ne permirent pas d’apercevoir une dénégation de Goupil. Puis, à cet élan, le profond silence et l’inquiétude succédèrent au premier mot du notaire, mot terrible : — Mais !…

Comme s’il eût tiré le fil d’un de ces petits théâtres dont tous les personnages marchent par saccades au moyen d’un rouage, Dionis vit alors tous les yeux braqués sur lui, tous les visages ramenés à une pose unique.

— Mais aucune loi ne peut empêcher votre oncle d’adopter ou d’épouser Ursule, reprit-il. Quant à l’adoption, elle serait contestée et vous auriez, je crois, gain de cause : les Cours Royales ne badinent pas en matière d’adoption, et vous seriez entendus dans l’enquête. Le docteur a beau porter le cordon de Saint-Michel, être officier de la Légion-d’Honneur et ancien médecin de l’ex-empereur, il succomberait. Mais si vous êtes avertis en cas d’adoption, comment sauriez-vous le mariage ? Le bonhomme est assez rusé pour aller se marier à Paris après un an de domicile, et reconnaître à sa future, par le contrat, une dot d’un million. Le seul acte qui mette votre succession en danger est donc le mariage de la petite et de son oncle.

Ici le notaire fit une pause.

— Il existe un autre danger, dit encore Goupil d’un air capable, celui d’un testament fait à un tiers, le père Bongrand, par exemple, qui aurait un fidéicommis relatif à mademoiselle Ursule Mirouët.

— Si vous taquinez votre oncle, reprit Dionis en coupant la parole à son maître-clerc, si vous n’êtes pas tous excellents pour Ursule, vous le pousserez soit au mariage, soit au fidéicommis dont vous parle Goupil ; mais je ne le crois pas capable de recourir au fidéicommis, moyen dangereux. Quant au mariage, il est facile de l’empêcher. Désiré n’a qu’à faire un doigt de cour à la petite, elle préférera toujours un charmant jeune homme, le coq de Nemours, à un vieillard.

— Ma mère, dit à l’oreille de Zélie le fils du maître de poste autant alléché par la somme que par la beauté d’Ursule, si je l’épousais, nous aurions tout.

— Es-tu fou ? toi qui auras un jour cinquante mille livres de rentes et qui dois devenir député ! Tant que je serai vivante, tu ne te casseras pas le cou par un sot mariage. Sept cent mille francs ?… la