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URSULE MIROUET.

éclaté à ses oreilles : elle jeta un cri de terreur ; ses yeux agrandis regardaient le vieillard avec une horrible fixité.

— Qui êtes-vous, mon parrain ? De qui tenez-vous une pareille puissance ? lui demanda-t-elle en imaginant que pour ne pas croire en Dieu il devait avoir fait un pacte avec l’ange de l’enfer.

— Qu’as-tu semé hier dans le jardin ?

— Du réséda, des pois de senteur, des balsamines.

— Et en dernier des pieds d’alouette ?

Elle tomba sur ses genoux.

— Ne m’épouvantez pas, mon parrain ; mais vous étiez ici, n’est-ce pas ?

— Ne suis-je pas toujours avec toi ? répondit le docteur en plaisantant pour respecter la raison de cette innocente fille. Allons dans ta chambre.

Il lui donna le bras et monta l’escalier.

— Vos jambes tremblent, mon bon ami, dit-elle.

— Oui, je suis comme foudroyé.

— Croiriez-vous donc enfin en Dieu ? s’écria-t-elle avec une joie naïve en laissant voir des larmes dans ses yeux.

Le vieillard regarda la chambre si simple et si coquette qu’il avait arrangée pour Ursule. À terre un tapis vert uni peu coûteux, qu’elle maintenait dans une exquise propreté ; sur les murs un papier gris de lin semé de roses avec leurs feuilles vertes ; aux fenêtres, qui avaient vue sur la cour, des rideaux de calicot ornés d’une bande d’étoffe rose ; entre les deux croisées, sous une haute glace longue, une console en bois doré couverte d’un marbre, sur laquelle était un vase de bleu de Sèvres où elle mettait des bouquets ; et, en face de la cheminée, une petite commode d’une charmante marqueterie et à dessus de marbre dit brèche d’Alep. Le lit, en vieille perse et à rideaux de perse doublés de rose, était un de ces lits à la duchesse si communs au dix-huitième siècle et qui avait pour ornements une touffe de plumes sculptée au-dessus des quatre colonnettes cannelées de chaque angle. Une vieille pendule, enfermée dans une espèce de monument en écaille incrusté d’arabesques en ivoire, décorait la cheminée, dont le chambranle et les flambeaux de marbre, dont la glace et son trumeau à peinture en grisaille offraient un remarquable ensemble de ton, de couleur et de manière. Une grande armoire, dont les battants offraient des paysages faits avec différents bois, dont quelques-uns avaient des