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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

ses assertions. Mais je louerai une voiture et partirai ce soir à dix heures. Ah ! je perds la tête.

— Que deviendrais-tu donc si, connaissant depuis de longues années un malade incurable, tu le voyais guéri en cinq secondes ! Si tu voyais ce grand magnétiseur faire suer à torrents un dartreux, si tu le voyais faire marcher une petite maîtresse percluse ?

— Dînons ensemble, Bouvard, et ne nous quittons pas jusqu’à neuf heures. Je veux chercher une expérience décisive, irrécusable.

— Soit, mon vieux camarade, répondit le docteur mesmérien.

Les deux ennemis réconciliés allèrent dîner au Palais-Royal. Après une conversation animée, à l’aide de laquelle Minoret trompa la fièvre d’idées qui lui ravageait la cervelle, Bouvard lui dit : — Si tu reconnais à cette femme la faculté d’anéantir ou de traverser l’espace, si tu acquiers la certitude que, de l’Assomption, elle entend et voit ce qui se dit et se fait à Nemours, il faut admettre tous les autres effets magnétiques, ils sont pour un incrédule tout aussi impossibles que ceux-là. Demande-lui donc une seule preuve qui te satisfasse, car tu peux croire que nous nous sommes procuré tous ces renseignements ; mais nous ne pouvons pas savoir, par exemple, ce qui va se passer à neuf heures, dans ta maison, dans la chambre de ta pupille : retiens ou écris ce que la somnambule va voir ou entendre et cours chez toi. Cette petite Ursule, que je ne connaissais point, n’est pas notre complice ; et si elle a dit ou fait ce que tu auras en écrit, baisse la tête, fier Sicambre !

Les deux amis revinrent dans la chambre, et y trouvèrent la somnambule, qui ne reconnut pas le docteur Minoret. Les yeux de cette femme se fermèrent doucement sous la main que le swedenborgiste étendit sur elle à distance, et elle reprit l’attitude dans laquelle Minoret l’avait vue avant le dîner. Quand les mains de la femme et celles du docteur furent mises en rapport, il la pria de lui dire tout ce qui se passait chez lui, à Nemours, en ce moment.

— Que fait Ursule ? dit-il.

— Elle est déshabillée, elle a fini de mettre ses papillotes, elle est à genoux sur son prie-Dieu, devant un crucifix d’ivoire attaché sur un tableau de velours rouge.

— Que dit-elle ?

— Elle fait ses prières du soir, elle se recommande à Dieu, elle le supplie d’écarter de son âme les mauvaises pensées ; elle examine sa conscience et repasse ce qu’elle a fait dans la journée afin de