Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

croisée, ils se sont vus aussi à l’église ; mais le jeune homme n’y pense plus.

— Son nom ?

— Ah ! pour vous le dire, il faut que je le lise ou que je l’entende. Il se nomme Savinien, elle vient de prononcer son nom ; elle le trouve doux à prononcer : elle a déjà regardé dans l’almanach le jour de sa fête, elle y a fait un petit point rouge… des enfantillages ! Oh ! elle aimera bien, mais avec autant de pureté que de force ; elle n’est pas fille à aimer deux fois, et l’amour teindra son âme et la pénétrera si bien qu’elle repousserait tout autre sentiment.

— Où voyez-vous cela ?

— En elle. Elle saura souffrir ; elle a de qui tenir, car son père et sa mère ont bien souffert !

Ce dernier mot renversa le docteur, qui fut moins ébranlé que surpris. Il n’est pas inutile de faire observer qu’entre chaque phrase de la femme il s’écoulait de dix à quinze minutes pendant lesquelles son attention se concentrait de plus en plus. On la voyait voyant ! son front présentait des aspects singuliers : il s’y peignait des efforts intérieurs, il s’éclaircissait ou se contractait par une puissance dont les effets n’avaient été remarqués par Minoret que chez les mourants dans les instants où ils sont doués du don de prophétie. Elle fit à plusieurs reprises des gestes qui ressemblaient à ceux d’Ursule.

— Oh ! questionnez-la, reprit le mystérieux personnage en s’adressant à Minoret, elle vous dira les secrets que vous pouvez seul connaître.

— Ursule m’aime ? reprit Minoret.

— Presque autant que Dieu, dit-elle avec un sourire. Aussi est-elle bien malheureuse de votre incrédulité. Vous ne croyez pas en Dieu, comme si vous pouviez empêcher qu’il soit ! Sa parole emplit les mondes ! Vous causez ainsi les seuls tourments de cette pauvre enfant. Tiens ! elle fait des gammes ; elle voudrait être encore meilleure musicienne qu’elle ne l’est, elle se dépite. Voici ce qu’elle pense : Si je chantais bien, si j’avais une belle voix, quand il sera chez sa mère, ma voix irait bien jusqu’à son oreille.

Le docteur Minoret prit son portefeuille et nota l’heure précise.

— Pouvez-vous me dire quelles sont les graines qu’elle a semées ?

— Du réséda, des pois de senteur, des balsamines…