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URSULE MIROUET.

répondit que par des : « Tu vas voir ! tu vas voir ! » et par ces petits hochements de tête que se permettent les gens sûrs de leur fait.

Les deux docteurs entrèrent dans un appartement plus que modeste. Bouvard alla parler pendant un moment dans une chambre à coucher contiguë au salon où attendait Minoret, dont la défiance s’éveilla ; mais Bouvard vint aussitôt le prendre et l’introduisit dans cette chambre où se trouvaient le mystérieux swedenborgiste et une femme assise dans un fauteuil. Cette femme ne se leva point, et ne parut pas s’apercevoir de l’entrée des deux vieillards.

— Comment ! plus de baquets ? fit Minoret en souriant.

— Rien que le pouvoir de Dieu, répondit gravement le swedenborgiste qui parut à Minoret être âgé de cinquante ans.

Les trois hommes s’assirent, et l’inconnu se mit à causer. On parla pluie et beau temps, à la grande surprise du vieux Minoret qui se crut mystifié. Le swedenborgiste questionna le visiteur sur ses opinions scientifiques, et semblait évidemment prendre le temps de l’examiner.

— Vous venez ici en simple curieux, monsieur, dit-il enfin. Je n’ai pas l’habitude de prostituer une puissance qui, dans ma conviction, émane de Dieu ; si j’en faisais un usage frivole ou mauvais, elle pourrait m’être retirée. Néanmoins, il s’agit, m’a dit monsieur Bouvard, de changer une conviction contraire à la nôtre, et d’éclairer un savant de bonne foi : je vais donc vous satisfaire. Cette femme que vous voyez, dit-il, en montrant l’inconnue, est dans le sommeil somnambulique. D’après les aveux et les manifestations de tous les somnambules, cet état constitue une vie délicieuse pendant laquelle l’être intérieur, dégagé de toutes les entraves apportées à l’exercice de ses facultés par la nature visible, se promène dans le monde que nous nommons invisible à tort. La vue et l’ouïe s’exercent alors d’une manière plus parfaite que dans l’état dit de veille, et peut-être sans le secours des organes qui sont la gaîne de ces épées lumineuses appelées la vue et l’ouïe ! Pour l’homme mis dans cet état les distances et les obstacles matériels n’existent pas, ou sont traversés par une vie qui est en nous, et pour laquelle notre corps est un réservoir, un point d’appui nécessaire, une enveloppe. Les termes manquent pour des effets si nouvellement retrouvés ; car aujourd’hui les mots impondérables, intangibles, invisibles, n’ont aucun sens relativement au fluide dont l’action est démontrée par le magnétisme. La lumière est pondérable par sa chaleur, qui en