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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

les sévérités de mademoiselle Rogron ; il démontra combien le tuteur avait agi naturellement en laissant sa pupille sous le gouvernement d’une femme ; il appuya sur la non-participation de son client à la manière dont l’éducation de Pierrette était entendue par Sylvie. Malgré les efforts de Vinet, le Conseil fut à l’unanimité d’avis de retirer la tutelle à Rogron. On désigna pour tuteur monsieur Auffray, et monsieur Ciprey pour subrogé-tuteur. Le Conseil de Famille entendit Adèle, la servante, qui chargea ses anciens maîtres ; mademoiselle Habert, qui raconta les propos cruels tenus par mademoiselle Rogron dans la soirée où Pierrette s’était donné le furieux coup entendu par tout le monde, et l’observation faite sur la santé de Pierrette par madame de Chargebœuf. Brigaut produisit la lettre qu’il avait reçue de Pierrette et qui prouvait leur mutuelle innocence. Il fut démontré que l’état déplorable dans lequel se trouvait la mineure venait d’un défaut de soin du tuteur, responsable de tout ce qui concernait sa pupille. La maladie de Pierrette avait frappé tout le monde, et même les personnes de la ville étrangères à la famille. L’accusation de sévices fut donc maintenue contre Rogron. L’affaire allait devenir publique.

Conseillé par Vinet, Rogron se rendit opposant à l’homologation de la délibération du Conseil de Famille par le Tribunal. Le Ministère Public intervint, attendu la gravité croissante de l’état pathologique où se trouvait Pierrette Lorrain. Ce procès curieux, quoique promptement mis au rôle, ne vint en ordre utile que vers le mois de mars 1828.

Le mariage de Rogron avec mademoiselle de Chargebœuf s’était alors célébré. Sylvie habitait le deuxième étage de sa maison, où des dispositions avaient été faites pour la loger ainsi que madame de Chargebœuf, car le premier étage fut entièrement affecté à madame Rogron. La belle madame Rogron succéda dès lors à la belle madame Tiphaine. L’influence de ce mariage fut énorme. On ne vint plus dans le salon de mademoiselle Sylvie, mais chez la belle madame Rogron.

Soutenu par sa belle-mère et appuyé par les banquiers royalistes du Tillet et Nucingen, le Président Tiphaine eut occasion de rendre service au Ministère, il fut un des orateurs du Centre les plus estimés, devint Juge au Tribunal de Première Instance de la Seine, et fit nommer son neveu, Lesourd, Président du tribunal de Provins. Cette nomination froissa beaucoup le juge Desfondrilles, toujours