Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/481

Cette page a été validée par deux contributeurs.
478
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Vinet voulut répliquer en disant que la consultation devait lui être communiquée, afin de la contredire.

— Non pas à la partie de Vinet, dit sévèrement le Président, mais peut-être à monsieur le Procureur du Roi. La cause est entendue.

Le Président écrivit au bas de la requête l’ordonnance suivante :

« Attendu que, d’une consultation délibérée à l’unanimité par les médecins de cette ville et par le docteur Bianchon, docteur de la Faculté de médecine de Paris, il résulte que la mineure Lorrain, réclamée par Rogron, son tuteur, est dans un état de maladie extrêmement grave, amené par de mauvais traitements et des sévices exercés sur elle au domicile du tuteur et par sa sœur,

« Nous, Président du Tribunal de Première Instance de Provins,

« Statuant sur la requête, ordonnons que, jusqu’à la délibération du Conseil de Famille, qui, suivant la déclaration du subrogé-tuteur, sera convoqué, la mineure ne réintégrera pas le domicile pupillaire et sera transférée dans la maison du subrogé-tuteur ;

« Subsidiairement, attendu l’état où se trouve la mineure et les traces de violence qui, d’après la consultation des médecins, existent sur sa personne, commettons le médecin en chef et le chirurgien en chef de l’hôpital de Provins pour la visiter ; et, dans le cas où les sévices seraient constants, faisons toute réserve de l’action du Ministère Public, et ce, sans préjudice de la voie civile prise par Auffray, subrogé-tuteur. »

Cette terrible ordonnance fut prononcée par le Président Tiphaine à haute et intelligible voix.

— Pourquoi pas les galères tout de suite ? dit Vinet. Et tout ce bruit pour une petite fille qui entretenait une intrigue avec un garçon menuisier ! Si l’affaire marche ainsi, s’écria-t-il insolemment, nous demanderons d’autres juges pour cause de suspicion légitime.

Vinet quitta le Palais et alla chez les principaux organes de son parti expliquer la situation de Rogron, qui n’avait jamais donné une chiquenaude à sa cousine, et dans qui le Tribunal voyait, dit-il, moins le tuteur de Pierrette que le grand électeur de Provins.

À l’entendre, les Tiphaine faisaient grand bruit de rien. La montagne accoucherait d’une souris. Sylvie, fille éminemment sage et religieuse, avait découvert une intrigue entre la pupille de son frère et un petit ouvrier menuisier, un breton nommé Brigaut. Ce drôle