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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Pierrette, tu ne mourras pas, tu vivras heureuse et tu seras bientôt délivrée de tes persécuteurs. Si je ne réussissais pas dans ce que j’entreprends pour te sauver, j’irais parler à la Justice, et je dirais à la face du ciel et de la terre comment te traitent d’indignes parents. Je suis certain que tu n’as plus que quelques jours à souffrir : prends patience, Pierrette ! Brigaut veille sur toi comme au temps où nous allions glisser sur l’étang et que je t’ai retirée du grand trou où nous avons manqué périr ensemble. Adieu, ma chère Pierrette, dans quelques jours nous serons heureux, si Dieu le veut. Hélas ! je n’ose te dire la seule chose qui s’opposerait à notre réunion. Mais Dieu nous aime ! Dans quelques jours, je pourrai donc voir ma chère Pierrette en liberté, sans soucis, sans qu’on m’empêche de te regarder, car j’ai bien faim de te voir, ô Pierrette ! Pierrette qui daignes m’aimer et me le dire. Oui, Pierrette, je serai ton amant, mais quand j’aurai gagné la fortune que tu mérites, et jusque-là je ne veux être pour toi qu’un dévoué serviteur de la vie duquel tu peux disposer. Adieu.


» Jacques Brigaut. »


Voici ce que le fils du major ne disait pas à Pierrette. Brigaut avait écrit la lettre suivante à madame Lorrain, à Nantes :

« Madame Lorrain, votre petite-fille va mourir, accablée de mauvais traitements, si vous ne venez pas la réclamer ; j’ai eu de la peine à la reconnaître, et, pour vous mettre à même de juger les choses, je vous joins à la présente la lettre que j’ai reçue de Pierrette. Vous passez ici pour avoir la fortune de votre petite-fille, et vous devez vous justifier de cette accusation. Enfin, si vous le pouvez, venez vite, nous pouvons encore être heureux, et plus tard vous trouveriez Pierrette morte.

» Je suis avec respect votre dévoué serviteur,


» Jacques Brigaut.


Chez monsieur Frappier, menuisier, Grand’rue, à Provins. »

Brigaut avait peur que la grand’mère de Pierrette ne fût morte.

Quoique la lettre de celui que dans son innocence, elle nommait son amant fût presque une énigme pour la Bretonne, elle y crut avec sa vierge foi. Son cœur éprouva la sensation que les voyageurs du désert ressentent en apercevant de loin les palmiers autour du