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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

traite comme la dernière des dernières ! et j’ai beau m’examiner comme si j’étais devant Dieu, je ne me trouve pas de fautes envers eux. Avant que tu ne me chantes le chant des mariées, je reconnaissais la bonté de Dieu dans mes douleurs ; car, comme je le priais de me retirer de ce monde, et que je me sentais bien malade, je me disais : Dieu m’entend ! Mais, Brigaut, puisque te voilà, je veux nous en aller en Bretagne retrouver ma grand’maman qui m’aime, quoiqu’ils m’aient dit qu’elle m’avait volé huit mille francs. Est-ce que je puis posséder huit mille francs, Brigaut ? S’ils sont à moi, peux-tu les avoir ? Mais c’est des mensonges ; si nous avions huit mille francs, ma grand’mère ne serait pas à Saint-Jacques. Je n’ai pas voulu troubler ses derniers jours, à cette bonne sainte femme, par le récit de mes tourments : elle serait pour en mourir. Ah ! si elle savait qu’on fait laver la vaisselle à sa petite-fille, elle qui me disait : Laisse ça, ma mignonne, quand dans ses malheurs je voulais l’aider ; laisse, laisse, mon mignon, tu gâterais tes jolies menottes. Ah ! bien, j’ai les ongles propres, va ! La plupart du temps je ne puis porter le panier aux provisions, qui me scie le bras en revenant du marché. Cependant je ne crois pas que mon cousin et ma cousine soient méchants ; mais c’est leur idée de toujours gronder, et il paraît que je ne puis pas les quitter. Mon cousin est mon tuteur. Un jour où j’ai voulu m’enfuir par trop de mal, et que je le leur ai dit, ma cousine Sylvie m’a répondu que la gendarmerie irait après moi, que la loi était pour mon tuteur, et j’ai bien compris que les cousins ne remplaçaient pas plus notre père ou notre mère que les saints ne remplacent le bon Dieu. Que veux-tu, mon pauvre Jacques, que je fasse de ton argent ? Garde-le pour notre voyage. Oh ! comme je pensais à toi et à Pen-Hoël et au grand étang ! C’est là que nous avons mangé notre pain blanc en premier, car il me semble que je vais à mal. Je suis bien malade, Jacques ! J’ai dans la tête des douleurs à crier, et dans les os, dans le dos, puis je ne sais quoi aux reins qui me tue, et je n’ai d’appétit que pour de vilaines choses, des racines, des feuilles ; enfin j’aime à sentir l’odeur des papiers imprimés. Il y a des moments où je pleurerais si j’étais seule, car on ne me laisse rien faire à ma guise, et je n’ai même pas la permission de pleurer. Il faut me cacher pour offrir mes larmes à celui de qui nous tenons ces grâces que nous nommons nos afflictions. N’est-ce pas lui qui t’a donné la bonne pensée de venir