Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/461

Cette page a été validée par deux contributeurs.
458
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

bien que tu n’es pas à ton aise. Oh ! Pierrette, retournons en Bretagne. Je puis gagner de quoi te donner tout ce qui te manque : tu pourras avoir trois francs par jour ; car j’en gagne de quatre à cinq, et trente sous me suffisent. Ah ! Pierrette, comme j’ai prié le bon Dieu pour toi depuis que je t’ai revue ! Je lui ai dit de me donner toutes tes souffrances et de te départir tous les plaisirs. Que fais-tu donc avec eux, qu’ils te gardent ? Ta grand’mère est plus qu’eux. Ces Rogron sont venimeux, ils t’ont ôté ta gaieté. Tu ne marches plus à Provins comme tu te mouvais en Bretagne. Retournons en Bretagne ! Enfin je suis là pour te servir, pour faire tes commandements, et tu me diras ce que tu veux. Si tu as besoin d’argent, j’ai à nous soixante écus, et j’aurai la douleur de te les envoyer par la ficelle au lieu de baiser avec respect tes chères mains en les y mettant. Ah ! voilà bien du temps, ma pauvre Pierrette, que le bleu du ciel s’est brouillé pour moi. Je n’ai pas eu deux heures de plaisir depuis que je t’ai mise dans cette diligence de malheur ; et quand je t’ai revue comme une ombre, cette sorcière de parente a troublé notre heur. Enfin nous aurons la consolation tous les dimanches de prier Dieu ensemble, il nous écoutera peut-être mieux. Sans adieu, ma chère Pierrette, et à cette nuit. »

Cette lettre émut tellement Pierrette qu’elle demeura plus d’une heure à la relire et à la regarder ; mais elle pensa non sans douleur qu’elle n’avait rien pour écrire. Elle entreprit donc le difficile voyage de sa mansarde à la salle à manger, où elle pouvait trouver de l’encre, une plume, du papier, et put l’accomplir sans avoir réveillé sa terrible cousine. Quelques instants avant minuit elle avait écrit cette lettre, qui fut également citée au procès.

« Mon ami, oh ! oui, mon ami ; car il n’y a que toi, Jacques, et ma grand’mère qui m’aimiez. Que Dieu me le pardonne, mais vous êtes aussi les deux seules personnes que j’aime l’une comme l’autre, ni plus ni moins. J’étais trop petite pour avoir pu connaître ma petite maman ; mais toi, Jacques, et ma grand’mère, mon grand-père aussi, Dieu lui donne le ciel, car il a bien souffert de sa ruine, qui a été la mienne, enfin vous deux qui êtes restés, je vous aime autant que je suis malheureuse ! Aussi, pour connaître combien je vous aime faudrait-il que vous sachiez combien je souffre ; et je ne le désire pas, cela vous ferait trop de peine. On me parle comme nous ne parlons pas aux chiens ! on me