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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Je ne sais, elle a demandé à se coucher.

La prudence pour ne pas dire la méfiance de Gouraud était incessamment éveillée par les résultats de son alliance avec Vinet. Évidemment la plus belle part était celle de l’avocat. L’avocat rédigeait le journal, il y régnait en maître, il en appliquait les revenus à sa rédaction ; tandis que le colonel, éditeur responsable, y gagnait peu de chose. Vinet et Cournant avaient rendu d’énormes services aux Rogron, le colonel en retraite ne pouvait rien pour eux. Qui serait député ? Vinet. Qui était le grand électeur ? Vinet. Qui consultait-on ? Vinet ! Enfin il connaissait pour le moins aussi bien que Vinet l’étendue et la profondeur de la passion allumée chez Rogron par la belle Bathilde de Chargebœuf. Cette passion devenait insensée, comme toutes les dernières passions des hommes. La voix de Bathilde faisait tressaillir le célibataire. Absorbé par ses désirs, Rogron les cachait, il n’osait espérer une pareille alliance. Pour sonder le mercier, le colonel s’était avisé de lui dire qu’il allait demander la main de Bathilde ; Rogron avait pâli de se voir un rival si redoutable, il était devenu froid pour Gouraud et presque haineux. Ainsi Vinet régnait de toute manière au logis, tandis que lui, colonel, ne s’y rattachait que par les liens hypothétiques d’une affection menteuse de sa part, et qui chez Sylvie ne s’était pas encore déclarée. Quand l’avocat lui avait révélé la manœuvre du prêtre en lui conseillant de rompre avec Sylvie et de se retourner vers Pierrette, Vinet avait flatté le penchant de Gouraud ; mais en analysant le sens intime de cette ouverture, en examinant bien le terrain autour de lui, le colonel crut apercevoir chez son allié l’espoir de le brouiller avec Sylvie et de profiter de la peur de la vieille fille pour faire tomber toute la fortune des Rogron dans les mains de mademoiselle de Chargebœuf. Aussi quand Rogron l’eut laissé seul avec Sylvie, la perspicacité du colonel s’empara-t-elle des légers indices qui trahissaient une pensée inquiète chez Sylvie. Il aperçut en elle le plan formé de se trouver sous les armes et pendant un moment seule avec lui. Le colonel, qui déjà soupçonnait véhémentement Vinet de lui jouer quelque mauvais tour attribua cette conférence à quelque secrète insinuation de ce singe judiciaire ; il se mit en garde comme quand il faisait une reconnaissance en pays ennemi, tenant l’œil sur la campagne, attentif au moindre bruit, l’esprit tendu, la main sur ses armes. Le colonel avait le défaut de ne jamais croire un seul mot de ce que disaient les femmes ; et