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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Ma cousine, qu’est-ce qu’un amant ?

Sylvie évita de répondre et lui dit : — Osez dire, mademoiselle, qu’il n’est pas venu sous nos fenêtres un homme vous parler mariage !

La persécution avait appris à Pierrette les ruses nécessaires aux esclaves, elle répondit hardiment : — Je ne sais pas ce que vous voulez dire.

— Mon chien ? dit aigrement la vieille fille.

— Ma cousine, reprit humblement Pierrette.

— Vous ne vous êtes pas levée non plus, et vous n’êtes pas allée non plus nu-pieds à votre fenêtre, ce qui vous vaudra quelque bonne maladie. Attrape ! Ce sera bien fait pour vous. Et vous n’avez peut-être pas parlé à votre amoureux ?

— Non, ma cousine.

— Je vous connaissais bien des défauts, mais je ne vous savais pas celui de mentir. Pensez-y bien, mademoiselle ! il faut nous dire et nous expliquer à votre cousin et à moi la scène de ce matin, sans quoi votre tuteur verra à prendre des mesures rigoureuses.

La vieille fille, dévorée de jalousie et de curiosité, procédait par intimidation. Pierrette fit comme les gens qui souffrent au delà de leurs forces, elle garda le silence. Ce silence est, pour tous les êtres attaqués, le seul moyen de triompher : il lasse les charges cosaques des envieux, les sauvages escarmouches des ennemis ; il donne une victoire écrasante et complète. Quoi de plus complet que le silence ? Il est absolu, n’est-ce pas une des manières d’être de l’infini ? Sylvie examina Pierrette à la dérobée. L’enfant rougissait, mais sa rougeur, au lieu d’être générale, se divisait par plaques inégales aux pommettes, par taches ardentes, et d’un ton significatif. En voyant ces symptômes de maladie, une mère eût aussitôt changé de ton, elle aurait pris cette enfant sur ses genoux, elle l’eût questionnée, elle aurait déjà depuis long-temps admiré mille preuves de la complète, de la sublime innocence de Pierrette, elle aurait deviné sa maladie et compris que les humeurs et le sang détournés de leur voie se jetaient sur les poumons après avoir troublé les fonctions digestives. Ces taches éloquentes lui eussent appris l’imminence d’un danger mortel. Mais une vieille fille chez qui les sentiments que nourrit la famille n’avaient jamais été réveillés, à qui les besoins de l’enfance, les précautions voulues par l’adolescence étaient inconnus, ne pouvait avoir aucune des indulgences et des compatissances inspirées par les mille événements de la vie ménagère