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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

célibataires eurent pour elle bien moins d’égards que pour une domestique, elle leur appartenait ! Aussi fut-elle grondée pour des riens, pour un peu de poussière oubliée sur le marbre de la cheminée ou sur un globe de verre. Ces objets de luxe qu’elle avait tant admirés lui devinrent odieux. Malgré son désir de bien faire, son inexorable cousine trouvait toujours à reprendre dans ce qu’elle avait fait. En deux ans, Pierrette ne reçut pas un compliment, n’entendit pas une parole affectueuse. Le bonheur pour elle était de ne pas être grondée. Elle supportait avec une patience angélique les humeurs noires de ces deux célibataires à qui les sentiments doux étaient entièrement inconnus, et qui tous les jours lui faisaient sentir sa dépendance. Cette vie où la jeune fille se trouvait, entre ces deux merciers, comme pressée entre les deux lèvres d’un étau, augmenta sa maladie. Elle éprouva des troubles intérieurs si violents, des chagrins secrets si subits dans leurs explosions, que ses développements furent irrémédiablement contrariés. Pierrette arriva donc lentement par des douleurs épouvantables, mais cachées, à l’état où la vit son ami d’enfance en la saluant, sur la petite place, de sa romance bretonne.

Avant d’entrer dans le drame domestique que la venue de Brigaut détermina dans la maison Rogron, il est nécessaire, pour ne pas l’interrompre, d’expliquer l’établissement du Breton à Provins, car il fut en quelque sorte un personnage muet de cette scène. En se sauvant, Brigaut fut non-seulement effrayé du geste de Pierrette, mais encore du changement de sa jeune amie : à peine l’eût-il reconnue sans la voix, les yeux et les gestes qui lui rappelèrent sa petite camarade si vive, si gaie et néanmoins si tendre. Quand il fut loin de la maison, ses jambes tremblèrent sous lui ; il eut chaud dans le dos ! Il avait vu l’ombre de Pierrette et non Pierrette. Il grimpa dans la haute ville, pensif, inquiet, jusqu’à ce qu’il eût trouvé un endroit d’où il pouvait apercevoir la place et la maison de Pierrette ; il la contempla douloureusement, perdu dans des pensées infinies, comme un malheur dans lequel on entre sans savoir où il s’arrête. Pierrette souffrait, elle n’était pas heureuse, elle regrettait la Bretagne ! qu’avait-elle ? Toutes ces questions passèrent et repassèrent dans le cœur de Brigaut en le déchirant, et lui révélèrent à lui-même l’étendue de son affection pour sa petite sœur d’adoption. Il est extrêmement rare que les passions entre enfants de sexes différents subsistent. Le charmant roman de Paul et Vir-