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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

Ce fut l’encre sur les tables, sur les meubles, sur les vêtements ; puis les cahiers d’écriture, les plumes égarées partout, la poudre sur les étoffes, les livres déchirés, écornés, pendant qu’elle apprenait ses leçons. On lui parlait déjà, et dans quels termes ! de la nécessité de gagner son pain, de n’être à charge à personne. En écoutant ces horribles avis, Pierrette sentait une douleur dans sa gorge : il s’y faisait une contraction violente, son cœur battait à coups précipités. Elle était obligée de retenir ses pleurs, car on lui demandait compte de ses larmes comme d’une offense envers la bonté de ses magnanimes parents. Rogron avait trouvé la vie qui lui était propre : il grondait Pierrette comme autrefois ses commis ; il allait la chercher au milieu de ses jeux pour la contraindre à étudier, il lui faisait répéter ses leçons, il était le féroce maître d’étude de cette pauvre enfant. Sylvie, de son côté, regardait comme un devoir d’apprendre à Pierrette le peu qu’elle savait des ouvrages de femme. Ni Rogron ni sa sœur n’avaient de douceur dans le caractère. Ces esprits étroits, qui d’ailleurs éprouvaient un plaisir réel à taquiner cette pauvre petite, passèrent insensiblement de la douceur à la plus excessive sévérité. Leur sévérité fut amenée par la prétendue mauvaise volonté de cette enfant, qui, commencée trop tard, avait l’entendement dur. Ses maîtres ignoraient l’art de donner aux leçons une forme appropriée à l’intelligence de l’élève, ce qui marque la différence de l’éducation particulière à l’éducation publique. Aussi la faute était-elle bien moins celle de Pierrette que celle de ses parents. Elle mit donc un temps infini pour apprendre les éléments. Pour un rien, elle était appelée bête et stupide, sotte et maladroite. Pierrette, incessamment maltraitée en paroles, ne rencontra chez ses deux parents que des regards froids. Elle prit l’attitude hébétée des brebis : elle n’osa plus rien faire en voyant ses actions mal jugées, mal accueillies, mal interprétées. En toute chose elle attendit le bon plaisir, les ordres de sa cousine, garda ses pensées pour elle, et se renferma dans une obéissance passive. Ses brillantes couleurs commencèrent à s’éteindre. Elle se plaignit parfois de souffrir. Quand sa cousine lui demanda : — Où ? la pauvre petite, qui ressentait des douleurs générales, répondit : — Partout.

— A-t-on jamais vu souffrir partout ? Si vous souffriez partout, vous seriez déjà morte ! répondit Sylvie.

— On souffre à la poitrine, disait Rogron l’épilogueur, on a mal