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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

qui payeras sa journée ! disait-elle en lui voyant demander quelque chose à la première ouvrière.

— Mademoiselle, disait mademoiselle Borain, faut-il coudre ceci en points arrière ?

— Oui, faites solidement, je n’ai pas envie de recommencer encore un pareil trousseau tous les jours.

Il en fut de la cousine comme de la maison. Pierrette dut être mise aussi bien que la petite de madame Garceland. Elle eut des brodequins à la mode, en peau bronzée, comme en avait la petite Tiphaine. Elle eut des bas de coton très-fins, un corset de la meilleure faiseuse, une robe de reps bleu, une jolie pèlerine doublée de taffetas blanc, toujours pour lutter avec la petite de madame Julliard la jeune. Aussi le dessous fut-il en harmonie avec le dessus, tant Sylvie avait peur de l’examen et du coup d’œil des mères de famille. Pierrette eut de jolies chemises en madapolam. Mademoiselle Borain dit que les petites de madame la sous-préfète portaient des pantalons en percale brodés et garnis, le dernier genre enfin. Pierrette eut des pantalons à manchettes. On lui commanda une charmante capote de velours bleu doublée de satin blanc, semblable à celle de la petite Martener. Pierrette fut ainsi la plus délicieuse petite fille de tout Provins. Le dimanche, à l’église, au sortir de la messe, toutes les dames l’embrassèrent. Mesdames Tiphaine, Garceland, Galardon, Auffray, Lesourd, Martener, Guépin, Julliard, raffolèrent de la charmante Bretonne. Cette émeute flatta l’amour-propre de la vieille Sylvie, qui dans sa bienfaisance voyait moins Pierrette qu’un triomphe de vanité. Cependant Sylvie devait finir par s’offenser des succès de sa cousine, et voici comment : on lui demanda Pierrette ; et, toujours pour triompher de ces dames, elle accorda Pierrette. On venait chercher Pierrette, qui fit des parties de jeu, des dînettes avec les petites filles de ces dames. Pierrette réussit infiniment mieux que les Rogron. Mademoiselle Sylvie se choqua de voir Pierrette demandée chez les autres sans que les autres vinssent trouver Pierrette. La naïve enfant ne dissimula point les plaisirs qu’elle goûtait chez mesdames Tiphaine, Martener, Galardon, Julliard, Lesourd, Auffray, Garceland, dont les amitiés contrastaient étrangement avec les tracasseries de sa cousine et de son cousin. Une mère eût été très-heureuse du bonheur de son enfant, mais les Rogron avaient pris Pierrette pour eux et non pour elle : leurs sentiments, loin