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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

elle était si forte ! Le regard de son œil bleu, froid et rigide comme de l’acier, se glissait jusque sous les meubles à tout moment ; aussi eussiez-vous plus facilement trouvé dans son cœur une corde sensible qu’un mouton sous une bergère.

Après ce qui s’était dit chez madame Tiphaine, il fut impossible à Sylvie de reculer devant les trois cents francs. Pendant la première semaine, Sylvie fut donc entièrement occupée, et Pierrette incessamment distraite par les robes à commander, à essayer, par les chemises, les jupons de dessous à tailler, à faire coudre par des ouvrières à la journée. Pierrette ne savait pas coudre.

— Elle a été joliment élevée ! dit Rogron. Tu ne sais donc rien faire, ma petite biche ?

Pierrette, qui ne savait qu’aimer, fit pour toute réponse un joli geste de petite fille.

— À quoi passais-tu donc le temps en Bretagne ? lui demanda Rogron.

— Je jouais, répondit-elle naïvement. Tout le monde jouait avec moi. Ma grand’mère et grand-papa, chacun me racontait des histoires. Ah ! l’on m’aimait bien.

— Ah ! répondait Rogron. Ainsi tu faisais du plus aisé.

Pierrette ne comprit pas cette plaisanterie de la rue Saint-Denis, elle ouvrit de grands yeux.

— Elle est sotte comme un panier, dit Sylvie à mademoiselle Borain, la plus habile ouvrière de Provins.

— C’est si jeune ! dit l’ouvrière en regardant Pierrette dont le petit museau fin était tendu vers elle d’un air rusé.

Pierrette préférait les ouvrières à ses deux parents ; elle était coquette pour elles, elle les regardait travaillant, elle leur disait ces jolis mots, les fleurs de l’enfance que comprimaient déjà Rogron et Sylvie par la peur, car ils aimaient à imprimer aux subordonnés une terreur salutaire. Les ouvrières étaient enchantées de Pierrette. Cependant le trousseau ne se complétait pas sans de terribles interjections.

— Cette petite fille va nous coûter les yeux de la tête ! disait Sylvie à son frère.

— Tiens-toi donc, ma petite ! Que diable, c’est pour toi, ce n’est pas pour moi, disait-elle à Pierrette quand on lui prenait mesure de quelque ajustement.

— Laisse donc travailler mademoiselle Borain, ce n’est pas toi