Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/410

Cette page a été validée par deux contributeurs.
407
LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

cheval sur son rabot, courait le monde, y faisait fortune pour Pierrette qui l’attendait. Vers le mois d’octobre de l’année 1824, époque à laquelle s’achevait sa onzième année, Pierrette fut donc confiée par les deux vieillards et par le jeune ouvrier, tous horriblement mélancoliques, au conducteur de la diligence de Nantes à Paris, avec prière de la mettre à Paris dans la diligence de Provins et de bien veiller sur elle. Pauvre Brigaut ! il courut comme un chien en suivant la diligence et regardant sa chère Pierrette tant qu’il le put. Malgré les signes de la petite Bretonne, il courut pendant une lieue en dehors de la ville ; et, quand il fut épuisé, ses yeux jetèrent un dernier regard mouillé de larmes à Pierrette, qui pleura quand elle ne le vit plus. Pierrette mit la tête à la portière et retrouva son ami planté sur ses deux jambes, regardant fuir la lourde voiture. Les Lorrain et Brigaut ignoraient si bien la vie, que la Bretonne n’avait plus un sou en arrivant à Paris. Le conducteur, à qui l’enfant parlait de ses parents riches, paya pour elle la dépense de l’hôtel, à Paris, se fit rembourser par le conducteur de la voiture de Troyes en le chargeant de remettre Pierrette dans sa famille et d’y suivre le remboursement, absolument comme pour une caisse de roulage. Quatre jours après son départ de Nantes, vers neuf heures, un lundi, un bon gros vieux conducteur des Messageries royales prit Pierrette par la main, et, pendant qu’on déchargeait, dans la Grand’rue, les articles et les voyageurs destinés au bureau de Provins, il la mena, sans autre bagage que deux robes, deux paires de bas et deux chemises, chez mademoiselle Rogron, dont la maison lui fut indiquée par le directeur du bureau.

— Bonjour, mademoiselle et la compagnie, dit le conducteur, je vous amène une cousine à vous, que voici : elle est, ma foi, bien gentille. Vous avez quarante-sept francs à me donner. Quoique votre petite n’en ait pas lourd avec elle, signez ma feuille.

Mademoiselle Sylvie et son frère se livrèrent à leur joie et à leur étonnement.

— Pardon, dit le conducteur, ma voiture attend, signez ma feuille, donnez-moi quarante-sept francs soixante centimes,… et ce que vous voudrez pour le conducteur de Nantes et pour moi qui avons eu soin de la petite comme de notre propre enfant. Nous avons avancé son coucher, sa nourriture, sa place de Provins et quelques petites choses.

— Quarante-sept francs douze sous !… dit Sylvie.