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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

avait pas dit encore un mot, mais tous les électeurs de Provins attendaient que leur cher président eût l’âge requis pour le nommer. Chacun d’eux, sûr de ses talents, en faisait son homme, son protecteur. Ah ! monsieur Tiphaine arriverait, il serait Garde des Sceaux, il s’occuperait de Provins !

Voici par quels moyens l’heureuse madame Tiphaine était parvenue à régner sur la petite ville de Provins. Madame Guénée, sœur de monsieur Tiphaine, après avoir marié sa première fille à monsieur Lesourd, procureur du roi, la seconde à monsieur Martener le médecin, la troisième à monsieur Auffray le notaire, avait épousé en secondes noces monsieur Galardon, le receveur des contributions. Mesdames Lesourd, Martener, Auffray et leur mère, madame Galardon, virent dans le Président Tiphaine l’homme le plus riche et le plus capable de la famille. Le procureur du roi, neveu par alliance de monsieur Tiphaine, avait tout intérêt à pousser son oncle à Paris pour devenir Président à Provins. Aussi ces quatre dames (madame Galardon adorait son frère) formèrent-elles une cour à madame Tiphaine, de qui elles prenaient les avis et les conseils en toute chose. Monsieur Julliard fils aîné, qui avait épousé la fille unique d’un riche fermier, se prit d’une belle passion, subite, secrète et désintéressée, pour la Présidente, cet ange descendu des cieux parisiens. La rusée Mélanie, incapable de s’embarrasser d’un Julliard, très capable de le maintenir à l’état d’Amadis et d’exploiter sa sottise, lui donna le conseil d’entreprendre un journal auquel elle servît d’Égérie. Depuis deux ans, Julliard, doublé de sa passion romantique, avait donc entrepris une feuille et une diligence publiques pour Provins. Le journal, appelé La Ruche, journal de Provins, contenait des articles littéraires, archéologiques et médicaux faits en famille. Les Annonces de l’arrondissement payaient les frais. Les abonnés, au nombre de deux cents, étaient le bénéfice. Il y paraissait des stances mélancoliques, incompréhensibles en Brie, et adressées à Elle !!! avec ces trois points. Ainsi le jeune ménage Julliard, qui chantait les mérites de madame Tiphaine, avait réuni le clan des Julliard à celui des Guénée. Dès lors le salon du Président était naturellement devenu le premier de la ville. Le peu d’aristocratie qui se trouve à Provins forme un seul salon dans la ville haute, chez la vieille comtesse de Bréautey.

Pendant les six premiers mois de leur transplantation, favorisés