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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Au moment où les héritiers et le notaire allaient traverser la place pour se rendre à la poste, le bruit de la diligence arrivant à fond de train au bureau qui se trouve à quelques pas de l’église, en haut de la Grand’rue, fit un fracas énorme.

— Tiens ! je suis comme toi, Minoret, j’oublie Désiré, dit Zélie. Allons à son débarquer : il est presque avocat, et c’est un peu de ses affaires qu’il s’agit.

L’arrivée d’une diligence est toujours une distraction ; mais quand elle est en retard, on s’attend à des événements : aussi la foule se porta-t-elle devant la Ducler.

— Voilà Désiré ! fut un cri général.

À la fois le tyran et le boute-en-train de Nemours, Désiré mettait toujours la ville en émoi par ses apparitions. Aimé de la jeunesse avec laquelle il se montrait généreux, il la stimulait par sa présence ; mais ses amusements étaient si redoutés, que plus d’une famille fut très heureuse de lui voir faire ses études et son Droit à Paris. Désiré Minoret, jeune homme mince, fluet et blond comme sa mère, de laquelle il avait les yeux bleus et le teint pâle, sourit par la portière à la foule, et descendit lestement pour embrasser sa mère. Une légère esquisse de ce garçon prouvera combien Zélie fut flattée en le voyant.

L’étudiant portait des bottes fines, un pantalon blanc d’étoffe anglaise à sous-pieds en cuir verni, une riche cravate bien mise, plus richement attachée, un joli gilet de fantaisie, et, dans la poche de ce gilet, une montre plate dont la chaîne pendait, enfin une redingote courte en drap bleu et un chapeau gris ; mais le parvenu se trahissait dans les boutons d’or de son gilet et dans la bague portée par-dessus des gants de chevreau d’une couleur violâtre. Il avait une canne à pomme d’or ciselé.

— Tu vas perdre ta montre, lui dit sa mère en l’embrassant.

— C’est fait exprès, répondit-il, en se laissant embrasser par son père.

— Hé ! bien, cousin, vous voilà bientôt avocat ? dit Massin.

— Je prêterai serment à la rentrée, dit-il en répondant aux saluts amicaux qui partaient de la foule.

— Nous allons donc rire, dit Goupil en lui prenant la main.

— Ah ! te voilà, vieux singe, répondit Désiré.

— Tu prends encore la licence pour thèse après ta thèse pour la