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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

sa vallée, ses délicieuses ravines pleines de haies échevelées et de fleurs, sa rivière crénelée de jardins, excite si bien l’amour de ses enfants, qu’ils se conduisent comme les Auvergnats, les Savoyards et les Français : s’ils sortent de Provins pour aller chercher fortune, ils y reviennent toujours. Le proverbe : Mourir au gîte, fait pour les lapins et les gens fidèles, semble être la devise des Provinois.

Aussi les deux Rogron ne pensaient-ils qu’à leur cher Provins ! En vendant du fil, le frère revoyait la haute ville. En entassant des papiers chargés de boutons, il contemplait la vallée. En roulant ou déroulant du padoux, il suivait le cours brillant des rivières. En regardant ses casiers, il remontait les chemins creux où jadis il fuyait la colère de son père pour venir y manger des noix, y gober des mûrons. La petite place de Provins occupait surtout sa pensée : il songeait à embellir sa maison, il rêvait à la façade qu’il y voulait reconstruire, aux chambres, au salon, à la salle de billard, à la salle à manger et au jardin potager dont il faisait un jardin anglais avec boulingrins, grottes, jets d’eau, statues, etc. Les chambres où dormaient le frère et la sœur au deuxième de la maison à trois croisées et à six étages, haute et jaune comme il y en a tant rue Saint-Denis, étaient sans autre mobilier que le strict nécessaire ; mais personne, à Paris, ne possédait un plus riche mobilier que ce mercier. Quand il allait par la ville, il restait dans l’attitude des teriakis, regardant les beaux meubles exposés, examinant les draperies dont il emplissait sa maison. Au retour, il disait à sa sœur : — J’ai vu dans telle boutique tel meuble de salon qui nous irait bien ! Le lendemain il en achetait un autre, et toujours ! Il regorgeait le mois courant les meubles du mois dernier. Le budget n’aurait pas payé ses remaniements d’architecture : il voulait tout, et donnait toujours la préférence aux dernières inventions. Quand il contemplait les balcons des maisons nouvellement construites, quand il étudiait les timides essais de l’ornementation extérieure, il trouvait les moulures, les sculptures, les dessins déplacés. — Ah ! se disait-il, ces belles choses feraient bien mieux à Provins que là ! Lorsqu’il ruminait son déjeuner sur le pas de sa porte, adossé à sa devanture, l’œil hébété, le mercier voyait une maison fantastique dorée par le soleil de son rêve, il se promenait dans son jardin, il y écoutait son jet d’eau retombant en perles brillantes sur une table ronde en pierre de liais. Il jouait à son billard, il plantait des fleurs. Si sa sœur était la plume à la main, réfléchissant et oubliant de