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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

souffrante de sa mère et la belle physionomie du major Brigaut, enfin toute une enfance sans soucis ! Ce fut encore un rêve : des joies lumineuses sur un fond grisâtre. Elle avait ses beaux cheveux cendrés en désordre sous un petit bonnet chiffonné pendant son sommeil, un petit bonnet en percale et à ruches qu’elle s’était fait elle-même. De chaque côté des tempes il passait des boucles échappées de leurs papillottes en papier gris. Derrière la tête, une grosse natte aplatie pendait déroulée. La blancheur excessive de sa figure trahissait une de ces horribles maladies de jeune fille à laquelle la médecine a donné le nom gracieux de chlorose, et qui prive le corps de ses couleurs naturelles, qui trouble l’appétit et annonce de grands désordres dans l’organisme. Ce ton de cire existait dans toute la carnation. Le cou et les épaules expliquaient par leur pâleur d’herbe étiolée la maigreur des bras jetés en avant et croisés. Les pieds de Pierrette paraissaient amollis, amoindris par la maladie. Sa chemise ne tombait qu’à mi-jambe et laissait voir des nerfs fatigués, des veines bleuâtres, une carnation appauvrie. Le froid qui l’atteignit lui rendit les lèvres d’un beau violet. Le triste sourire qui tira les coins de sa bouche assez délicate montra des dents d’un ivoire fin et d’une forme menue, de jolies dents transparentes qui s’accordaient avec ses oreilles fines, avec son nez un peu pointu mais élégant, avec la coupe de son visage, qui, malgré sa parfaite rondeur, était mignonne. Toute l’animation de ce charmant visage se trouvait dans des yeux dont l’iris, couleur tabac d’Espagne et mélangé de points noirs, brillait par des reflets d’or autour d’une prunelle profonde et vive. Pierrette avait dû être gaie, elle était triste. Sa gaieté perdue existait encore dans la vivacité des contours de l’œil, dans la grâce ingénue de son front et dans les méplats de son menton court. Ses longs cils se dessinaient comme des pinceaux sur ses pommettes altérées par la souffrance. Le blanc, prodigué outre mesure, rendait d’ailleurs les lignes et les détails de la physionomie très-purs. L’oreille était un petit chef-d’œuvre de sculpture : vous eussiez dit du marbre. Pierrette souffrait de bien des manières. Aussi peut-être voulez-vous son histoire ? la voici.

La mère de Pierrette était une demoiselle Auffray, de Provins, sœur consanguine de madame Rogron, mère des possesseurs actuels de cette maison.

Marié d’abord à dix-huit ans, monsieur Auffray avait contracté vers soixante-neuf ans un second mariage. De son premier lit, était