326 | II. Livre. Scènes de la vie de province. |
chambre. Vous y demeurerez jusqu’à ce que je vous permette d’en sortir. Nanon vous y portera du pain et de l’eau. Vous m’avez entendu, marchez !
Eugénie fondit en larmes et se sauva près de sa mère. Après avoir fait un certain nombre de fois le tour de son jardin dans la neige, sans s’apercevoir du froid, Grandet se douta que sa fille devait être chez sa femme ; et, charmé de la prendre en contravention à ses ordres, il grimpa les escaliers avec l’agilité d’un chat, et apparut dans la chambre de madame Grandet au moment où elle caressait les cheveux d’Eugénie dont le visage était plongé dans le sein maternel.
— Console-toi, ma pauvre enfant, ton père s’apaisera.
— Elle n’a plus de père, dit le tonnelier. Est-ce bien vous et moi, madame Grandet, qui avons fait une fille désobéissante comme l’est celle-là ? Jolie éducation, et religieuse surtout. Hé ! bien, vous n’êtes pas dans votre chambre. Allons, en prison, en prison, mademoiselle.
— Voulez-vous me priver de ma fille, monsieur ? dit madame Grandet en montrant un visage rougi par la fièvre.
— Si vous la voulez garder, emportez-la, videz-moi toutes deux la maison. Tonnerre, où est l’or, qu’est devenu l’or ?
Eugénie se leva, lança un regard d’orgueil sur son père, et rentra dans sa chambre à laquelle le bonhomme donna un tour de clef.
— Nanon, cria-t-il, éteins le feu de la salle. Et il vint s’asseoir sur un fauteuil au coin de la cheminée de sa femme, en lui disant : — Elle l’a donné sans doute à ce misérable séducteur de Charles qui n’en voulait qu’à notre argent.
Madame Grandet trouva, dans le danger qui menaçait sa fille et dans son sentiment pour elle, assez de force pour demeurer en apparence froide, muette et sourde.
— Je ne savais rien de tout ceci, répondit-elle en se tournant du côté de la ruelle du lit pour ne pas subir les regards étincelants de son mari. Je souffre tant de votre violence, que si j’en crois mes pressentiments, je ne sortirai d’ici que les pieds en avant. Vous auriez dû m’épargner en ce moment, monsieur, moi qui ne vous ai jamais causé de chagrin, du moins, je le pense. Votre fille vous aime, je la crois innocente autant que l’enfant qui naît ; ainsi ne lui faites pas de peine, révoquez votre arrêt. Le froid est bien vif, vous pouvez être cause de quelque grave maladie.
— Je ne la verrai ni ne lui parlerai. Elle restera dans sa chambre