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290 II. Livre. Scènes de la vie de province.  

— Mais ceci, mon brave Grandet, n’en déplaise à monsieur le président, reprit des Grassins, est une affaire purement commerciale, et veut un négociant consommé. Ne faut-il pas se connaître aux comptes de retour, débours, calculs d’intérêts ? Je dois aller à Paris pour mes affaires, et je pourrais alors me charger de…

— Nous verrions donc à tâ… tâ… tâcher de nous aaaarranger tou… tous deux dans les po… po… po… possibilités relatives et sans m’en… m’en… m’engager à quelque chose que je… je… je ne voooou… oudrais pas faire, dit Grandet en bégayant. Parce que, voyez-vous, monsieur le président me demandait naturellement les frais du voyage.

Le bonhomme ne bredouilla plus ces derniers mots.

— Eh ! dit madame des Grassins, mais c’est un plaisir que d’être à Paris. Je payerais volontiers pour y aller, moi.

Et elle fit un signe à son mari comme pour l’encourager à souffler cette commission à leurs adversaires coûte que coûte ; puis elle regarda fort ironiquement les deux Cruchot, qui prirent une mine piteuse. Grandet saisit alors le banquier par un des boutons de son habit et l’attira dans un coin.

— J’aurais bien plus de confiance en vous que dans le président, lui dit-il. Puis il y a des anguilles sous roche, ajouta-t-il en remuant sa loupe. Je veux me mettre dans la rente ; j’ai quelques milliers de francs de rente à faire acheter, et je ne veux placer qu’à quatre-vingts francs. Cette mécanique baisse, dit-on, à la fin des mois. Vous vous connaissez à ça, pas vrai ?

— Pardieu ! Eh ! bien, j’aurais donc quelques mille livres de rente à lever pour vous ?

— Pas grand’chose pour commencer. Motus ! Je veux jouer ce jeu-là sans qu’on en sache rien. Vous me concluriez un marché pour la fin du mois ; mais n’en dites rien aux Cruchot, ça les taquinerait. Puisque vous allez à Paris, nous y verrons en même temps, pour mon pauvre neveu, de quelle couleur sont les atouts.

— Voilà qui est entendu. Je partirai demain en poste, dit à haute voix des Grassins, et je viendrai prendre vos dernières instructions à… À quelle heure ?

— À cinq heures, avant le dîner, dit le vigneron en se frottant les mains.

Les deux partis restèrent encore quelques instants en présence.