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280 II. Livre. Scènes de la vie de province.  

dre bruit, semblait à Eugénie avoir perdu son caractère de vétusté ; elle le voyait lumineux, il parlait, il était jeune comme elle, jeune comme son amour auquel il servait. Enfin sa mère, sa bonne et indulgente mère, voulut bien se prêter aux fantaisies de son amour, et lorsque la chambre de Charles fut faite, elles allèrent toutes deux tenir compagnie au malheureux : la charité chrétienne n’ordonnait-elle pas de le consoler ? Ces deux femmes puisèrent dans la religion bon nombre de petits sophismes pour se justifier leurs déportements. Charles Grandet se vit donc l’objet des soins les plus affectueux et les plus tendres. Son cœur endolori sentit vivement la douceur de cette amitié veloutée, de cette exquise sympathie, que ces deux âmes toujours contraintes surent déployer en se trouvant libres un moment dans la région des souffrances, leur sphère naturelle. Autorisée par la parenté, Eugénie se mit à ranger le linge, les objets de toilette que son cousin avait apportés, et put s’émerveiller à son aise de chaque luxueuse babiole, des colifichets d’argent, d’or travaillé qui lui tombaient sous la main, et qu’elle tenait longtemps sous prétexte de les examiner. Charles ne vit pas sans un attendrissement profond l’intérêt généreux que lui portaient sa tante et sa cousine ; il connaissait assez la société de Paris pour savoir que dans sa position il n’y eût trouvé que des cœurs indifférents ou froids. Eugénie lui apparut dans toute la splendeur de sa beauté spéciale. Il admira dès lors l’innocence de ces mœurs dont il se moquait la veille. Aussi, quand Eugénie prit des mains de Nanon le bol de faïence plein de café à la crème pour le lui servir avec toute l’ingénuité du sentiment, et en lui jetant un bon regard, ses yeux se mouillèrent-ils de larmes ; il lui prit la main et la baisa.

— Hé ! bien, qu’avez-vous encore ? demanda-t-elle.

— C’est des larmes de reconnaissance, répondit-il.

Eugénie se tourna brusquement vers la cheminée pour prendre les flambeaux.

— Nanon, tenez, emportez, dit-elle.

Quand elle regarda son cousin, elle était bien rouge encore, mais au moins ses regards purent mentir et ne pas peindre la joie excessive qui lui inondait le cœur ; mais leurs yeux exprimèrent un même sentiment, comme leurs âmes se fondirent dans une même pensée : l’avenir était à eux. Cette douce émotion fut d’autant plus délicieuse pour Charles au milieu de son immense chagrin, qu’elle était moins attendue. Un coup de marteau rappela les deux femmes