248 | II. Livre. Scènes de la vie de province. |
Nanon resta plantée sur ses pieds, contemplant Charles, sans pouvoir ajouter foi à ses paroles.
— Me donner ce bel atour ! dit-elle en s’en allant. Il rêve déjà, ce monsieur. Bonsoir.
— Bonsoir, Nanon.
— Qu’est-ce que je suis venu faire ici ? se dit Charles en s’endormant. Mon père n’est pas un niais, mon voyage doit avoir un but. Psch ! à demain les affaires sérieuses, disait je ne sais quelle ganache grecque.
— Sainte-Vierge ! qu’il est gentil, mon cousin, se dit Eugénie en interrompant ses prières qui ce soir-là ne furent pas finies.
Madame Grandet n’eut aucune pensée en se couchant. Elle entendait, par la porte de communication qui se trouvait au milieu de la cloison, l’avare se promenant de long en long dans sa chambre. Semblable à toutes les femmes timides, elle avait étudié le caractère de son seigneur. De même que la mouette prévoit l’orage, elle avait, à d’imperceptibles signes, pressenti la tempête intérieure qui agitait Grandet, et, pour employer l’expression dont elle se servait, elle faisait alors la morte. Grandet regardait la porte intérieurement doublée en tôle qu’il avait fait mettre à son cabinet, et se disait :
— Quelle idée bizarre a eue mon frère de me léguer son enfant ? Jolie succession ! Je n’ai pas vingt écus à donner. Mais qu’est-ce que vingt écus pour ce mirliflor qui lorgnait mon baromètre comme s’il avait voulu en faire du feu ?
En songeant aux conséquences de ce testament de douleur, Grandet était peut-être plus agité que ne l’était son frère au moment où il le traça.
— J’aurais cette robe d’or ?… disait Nanon qui s’endormit habillée de son devant d’autel, rêvant de fleurs, de tabis, de damas, pour la première fois de sa vie, comme Eugénie rêva d’amour.
Dans la pure et monotone vie des jeunes filles, il vient une heure délicieuse où le soleil leur épanche ses rayons dans l’âme, où la fleur leur exprime des pensées, où les palpitations du cœur communiquent au cerveau leur chaude fécondance, et fondent les idées en un vague désir ; jour d’innocente mélancolie et de suaves joyeusetés ! Quand les enfants commencent à voir, ils sourient ; quand une fille entrevoit le sentiment dans la nature, elle sourit comme elle souriait enfant. Si la lumière est le premier amour de la vie, l’amour n’est-il pas la lumière du cœur ? Le moment de voir clair aux