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242 II. Livre. Scènes de la vie de province.  

dame Grandet rentrèrent. — Tout est-il arrangé là-haut ? leur demanda le bonhomme en retrouvant son calme.

— Oui, mon père.

— Hé ! bien, mon neveu, si vous êtes fatigué, Nanon va vous conduire à votre chambre. Dame, ce ne sera pas un appartement de mirliflor ! mais vous excuserez de pauvres vignerons qui n’ont jamais le sou. Les impôts nous avalent tout.

— Nous ne voulons pas être indiscrets, Grandet, dit le banquier. Vous pouvez avoir à jaser avec votre neveu, nous vous souhaitons le bonsoir. À demain.

À ces mots, l’assemblée se leva, et chacun fit la révérence suivant son caractère. Le vieux notaire alla chercher sous la porte sa lanterne, et vint l’allumer en offrant aux des Grassins de les reconduire. Madame des Grassins n’avait pas prévu l’incident qui devait faire finir prématurément la soirée, et son domestique n’était pas arrivé.

— Voulez-vous me faire l’honneur d’accepter mon bras, madame ? dit l’abbé Cruchot à madame des Grassins.

— Merci, monsieur l’abbé. J’ai mon fils, répondit-elle sèchement.

— Les dames ne sauraient se compromettre avec moi, dit l’abbé.

— Donne donc le bras à monsieur Cruchot, lui dit son mari.

L’abbé emmena la jolie dame assez lestement pour se trouver à quelques pas en avant de la caravane.

— Il est très bien, ce jeune homme, madame, lui dit-il en lui serrant le bras. Adieu, paniers, vendanges sont faites ! Il vous faut dire adieu à mademoiselle Grandet, Eugénie sera pour le Parisien. À moins que ce cousin ne soit amouraché d’une Parisienne, votre fils Adolphe va rencontrer en lui le rival le plus…

— Laissez donc, monsieur l’abbé. Ce jeune homme ne tardera pas à s’apercevoir qu’Eugénie est une niaise, une fille sans fraîcheur. L’avez-vous examinée ? elle était, ce soir, jaune comme un coing.

— Vous l’avez peut-être déjà fait remarquer au cousin.

— Et je ne m’en suis pas gênée…

— Mettez-vous toujours auprès d’Eugénie, madame, et vous n’aurez pas grand’chose à dire à ce jeune homme contre sa cousine, il fera de lui-même une comparaison qui…

— D’abord, il m’a promis de venir dîner après-demain chez moi.

— Ah ! si vous vouliez, madame, dit l’abbé.