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226 II. Livre. Scènes de la vie de province.  

mademoiselle, de vous souhaiter, aujourd’hui que vous venez de naître, une suite d’années heureuses, et la continuation de la santé dont vous jouissez ?

Il offrit un gros bouquet de fleurs rares à Saumur ; puis, serrant l’héritière par les coudes, il l’embrassa des deux côtés du cou, avec une complaisance qui rendit Eugénie honteuse. Le président, qui ressemblait à un grand clou rouillé, croyait ainsi faire sa cour.

— Ne vous gênez pas, dit Grandet en rentrant. Comme vous y allez les jours de fête, monsieur le président !

— Mais, avec mademoiselle, répondit l’abbé Cruchot armé de son bouquet, tous les jours seraient pour mon neveu des jours de fête.

L’abbé baisa la main d’Eugénie. Quant à maître Cruchot, il embrassa la jeune fille tout bonnement sur les deux joues, et dit : — Comme ça nous pousse, ça ! Tous les ans douze mois.

En replaçant la lumière devant le cartel, Grandet, qui ne quittait jamais une plaisanterie et la répétait à satiété quand elle lui semblait drôle, dit : — Puisque c’est la fête d’Eugénie, allumons les flambeaux !

Il ôta soigneusement les branches des candélabres, mit la bobèche à chaque piédestal, prit des mains de Nanon une chandelle neuve entortillée d’un bout de papier, la ficha dans le trou, l’assura, l’alluma, et vint s’asseoir à côté de sa femme, en regardant alternativement ses amis, sa fille et les deux chandelles. L’abbé Cruchot, petit homme dodu, grassouillet, à perruque rousse et plate, à figure de vieille femme joueuse, dit en avançant ses pieds bien chaussés dans de forts souliers à agrafes d’argent : — Les des Grassins ne sont pas venus ?

— Pas encore, dit Grandet.

— Mais doivent-ils venir ? demanda le vieux notaire en faisant grimacer sa face trouée comme une écumoire.

— Je le crois, répondit madame Grandet.

— Vos vendanges sont-elles finies ? demanda le président de Bonfons à Grandet.

— Partout ! lui dit le vieux vigneron, en se levant pour se promener de long en long dans la salle et se haussant le thorax par un mouvement plein d’orgueil comme son mot, partout ! Par la porte du couloir qui allait à la cuisine, il vit alors la grande Nanon, assise à son feu, ayant une lumière et se préparant à filer là, pour ne pas se mêler à la fête. — Nanon, dit-il, en s’avançant dans le