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URSULE MIROUET.

— Savez-vous, dit le juge de paix au curé quand ils furent dans la rue, ce que venait faire madame Minoret ?

— Quoi ? répondit le prêtre en regardant le juge d’un air fin qui paraissait purement curieux.

— Elle voulait faire une affaire d’une restitution.

— Vous croyez donc ?… reprit l’abbé Chaperon.

— Je ne crois pas, j’ai la certitude, et, tenez, voyez.

Le juge de paix montra Minoret qui venait à eux en retournant chez lui, car en sortant de chez Ursule les deux vieux amis remontèrent la Grand’rue de Nemours.

— Obligé de plaider en cour d’assises, j’ai naturellement étudié bien des remords, mais je n’ai rien vu de pareil à celui-ci ! Qui donc a pu donner cette flaccidité, cette pâleur à des joues dont la peau tendue comme celle d’un tambour crevait de la bonne grosse santé des gens sans soucis ? Qui a cerné de noir ces yeux et amorti leur vivacité campagnarde ? Avez-vous jamais cru qu’il y aurait des plis sur ce front, et que ce colosse pourrait jamais être agité dans sa cervelle ? Il sent enfin son cœur ! Je me connais en remords, comme vous vous connaissez en repentirs, mon cher curé : ceux que j’ai jusqu’à présent observés attendaient leur peine ou allaient la subir pour s’acquitter avec le monde, ils étaient résignés ou respiraient la vengeance ; mais voici le remords sans l’expiation, le remords tout pur, avide de sa proie et la déchirant.

— Vous ne savez pas encore, dit le juge de paix en arrêtant Minoret, que mademoiselle Mirouët vient de refuser la main de votre fils ?

— Mais, dit le curé, soyez tranquille, elle empêchera son duel avec monsieur de Portenduère.

— Ah ! ma femme a réussi, dit Minoret, j’en suis bien aise, car je ne vivais pas.

— Vous êtes en effet si changé que vous ne vous ressemblez plus, dit le juge.

Minoret regardait alternativement Bongrand et le curé pour savoir si le prêtre avait commis une indiscrétion ; mais l’abbé Chaperon conservait une immobilité de visage, un calme triste qui rassura le coupable.

— Et c’est d’autant plus étonnant, disait toujours le juge de paix, que vous ne devriez éprouver que contentement. Enfin, vous êtes le seigneur du Rouvre, vous y avez réuni les Bordières, toutes vos