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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

riant à la sous-préfète (la sous-préfète était une brune piquante, selon la vieille expression du dernier siècle). D’où venez-vous, mon cher monsieur Bongrand ? Tout le monde sait que mon père est seigneur suzerain de quarante-huit mille livres de rente en terres groupées autour de son château du Rouvre, et tout le monde me connaît quarante huit mille raisons perpétuelles et foncières pour ne pas aimer la pupille du Parquet. Si j’épousais une fille de rien, ces dames me prendraient pour un grand sot.

— Vous n’avez jamais tourmenté votre père au sujet d’Ursule ?

— Jamais.

— Vous l’entendez, monsieur le procureur du roi ? dit le juge de paix à ce magistrat qui les avait écoutés et qu’il emmena dans une embrasure où ils restèrent environ un quart d’heure à causer.

Une heure après, le juge de paix, de retour à Nemours chez Ursule, envoyait la Bougival chercher Minoret qui vint aussitôt.

— Mademoiselle… dit Bongrand à Minoret en le voyant entrer.

— Accepte ? dit Minoret en interrompant.

— Non, pas encore, répondit le juge en touchant à ses lunettes, elle a eu des scrupules sur l’état de votre fils ; car elle a été bien maltraitée à propos d’une passion semblable, et connaît le prix de la tranquillité. Pouvez-vous lui jurer que votre fils est fou d’amour, et que vous n’avez pas d’autre intention que celle de préserver notre chère Ursule de quelques nouvelles goupilleries ?

— Oh ! je le jure, fit Minoret.

— Halte là, papa Minoret ! dit le juge de paix en sortant une de ses mains du gousset de son pantalon pour frapper sur l’épaule de Minoret qui tressaillit. Ne faites pas si légèrement un faux serment.

— Un faux serment ?

— Il est entre vous et votre fils, qui vient de jurer à Fontainebleau, chez le sous-préfet, en présence de quatre personnes et du procureur du roi, que jamais il n’avait songé à sa cousine Ursule Mirouët. Vous avez donc d’autres raisons pour lui offrir un si énorme capital ? J’ai vu que vous aviez avancé des faits hasardés, je suis allé moi-même à Fontainebleau.

Minoret resta tout ébahi de sa propre sottise.

— Mais il n’y a pas de mal, monsieur Bongrand, à offrir à une parente de rendre possible un mariage qui paraît devoir faire son bonheur, et de chercher des prétextes pour vaincre sa modestie.

Minoret, à qui son danger venait de conseiller une excuse pres-