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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

heur courait dans les veines du spoliateur. Savinien parut, resta debout, garda son chapeau sur la tête, sa canne à la main, ses mains croisées sur la poitrine, immobile devant les deux époux.

— Je viens savoir, monsieur et madame Minoret, les raisons que vous avez eues pour tourmenter d’une manière infâme une jeune fille qui est, au su de toute la ville de Nemours, ma future épouse ? pourquoi vous avez essayé de flétrir son honneur ? pourquoi vous vouliez sa mort, et pourquoi vous l’avez livrée aux insultes d’un Goupil ?… Répondez.

— Êtes-vous drôle, monsieur Savinien, dit Zélie, de venir nous demander les raisons d’une chose qui nous semble inexplicable ! Je me soucie d’Ursule comme de l’an quarante. Depuis la mort de l’oncle Minoret, je n’y ai jamais plus pensé qu’à ma première chemise ! Je n’ai pas soufflé mot d’elle à Goupil, encore un singulier drôle à qui je ne confierais pas les intérêts de mon chien. Eh ! bien, répondras-tu, Minoret ? Vas-tu te laisser manquer par monsieur, et accuser d’infamies qui sont au-dessous de toi ? Comme si un homme qui a quarante-huit mille livres de rente en fonds de terre autour d’un château digne d’un prince, descendait à de pareilles sottises ! Lève-toi donc, que tu es là comme une chiffe !

— Je ne sais pas ce que monsieur veut dire, répondit enfin Minoret de sa petite voix, dont le tremblement fut d’autant plus facile à remarquer qu’elle était claire. Quelle raison aurais-je de persécuter cette petite ? J’ai dit peut-être à Goupil combien j’étais contrarié de la voir à Nemours ; mon fils Désiré s’en amourachait, et je ne la lui voulais point pour femme, voilà.

— Goupil m’a tout avoué, monsieur Minoret.

Il y eut un moment de silence, mais terrible, pendant lequel les trois personnages s’examinèrent. Zélie avait vu, dans la grosse figure de son colosse, un mouvement nerveux.

— Quoique vous ne soyez que des insectes, je veux tirer de vous une vengeance éclatante, et je saurai la prendre, reprit le gentilhomme. Ce n’est pas à vous, homme de soixante-sept ans, que je demanderai raison des insultes faites à mademoiselle Mirouët, mais à votre fils. La première fois que monsieur Minoret fils mettra les pieds à Nemours, nous nous rencontrerons ; il faudra bien qu’il se batte avec moi, et il se battra ! ou il sera si bien déshonoré qu’il ne se présentera jamais nulle part ; s’il ne vient pas à Nemours, j’irai à Fontainebleau, moi ! J’aurai satisfaction. Il ne sera pas dit que