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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Minoret s’efforçaient de bannir de leur société comme une personne tarée qui tachait leur splendeur, ne fut invité que vers la fin du mois de juillet, un mois après l’inauguration de la vie bourgeoise menée par les anciens maîtres de poste. Le maître-clerc, déjà sensible à cet oubli calculé, fut obligé de dire vous à Désiré qui, depuis l’exercice de ses fonctions, avait pris un air grave et rogue jusque dans sa famille.

— Vous ne vous souvenez donc plus d’Esther, pour aimer ainsi mademoiselle Mirouët ? dit Goupil au substitut.

— D’abord Esther est morte, monsieur. Puis je n’ai jamais pensé à Ursule, répondit le magistrat.

— Eh ! bien, que me disiez-vous donc, papa Minoret ? s’écria très-insolemment Goupil.

Minoret, pris en flagrant délit de mensonge par un homme si redoutable, eût perdu contenance sans le projet pour lequel il avait invité Goupil à dîner, en se souvenant de la proposition jadis faite par le maître-clerc d’empêcher le mariage d’Ursule et du jeune Portenduère. Pour toute réponse, il emmena brusquement le clerc au fond de son jardin.

— Vous avez bientôt vingt-huit ans, mon cher, lui dit-il, et je ne vous vois pas encore sur le chemin de la fortune. Je vous veux du bien, car enfin vous avez été le camarade de mon fils. Écoutez-moi ? Si vous décidez la petite Mirouët, qui d’ailleurs possède quarante mille francs, à devenir votre femme, aussi vrai que je m’appelle Minoret, je vous donnerai les moyens d’acheter une charge de notaire à Orléans.

— Non, dit Goupil, je ne serais pas assez en vue ; mais à Montargis…

— Non, reprit Minoret, mais à Sens…

— Va pour Sens ! reprit le hideux premier clerc. Il y a un archevêque, je ne hais pas un pays de dévotion : avec un peu d’hypocrisie on y fait mieux son chemin. D’ailleurs la petite est dévote, elle y réussira.

— Il est bien entendu, reprit Minoret, que je ne donne les cent mille francs qu’au mariage de notre parente, à qui je veux faire un sort par considération pour défunt mon oncle.

— Et pourquoi pas un peu pour moi ? dit malicieusement Goupil en soupçonnant quelque secret dans la conduite de Minoret. N’est-ce pas à mes renseignements que vous devez d’avoir pu réu-