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URSULE MIROUET.

son parrain à qui elle pensait sans cesse, surtout entourée des objets qu’il affectionnait : sa grande bergère à la duchesse, les meubles de son cabinet et son trictrac, ainsi que le piano donné par lui. Les deux vieux amis qui lui restaient, l’abbé Chaperon et monsieur Bongrand, les seules personnes qu’elle voulût recevoir, étaient, au milieu de ces choses presque animées par ses regrets, comme deux vivants souvenirs de sa vie passée à laquelle elle rattacha son présent par l’amour que son parrain avait béni. Bientôt la mélancolie de ses pensées insensiblement adoucie teignit en quelque sorte ses heures, et relia toutes ces choses par une indéfinissable harmonie : ce fut une exquise propreté, la plus exacte symétrie dans la disposition des meubles, quelques fleurs données chaque jour par Savinien, des riens élégants, une paix que les habitudes de la jeune fille communiquaient aux choses et qui rendit son chez-soi aimable. Après le déjeuner et après la messe, elle continuait à étudier et à chanter ; puis elle brodait, assise à sa fenêtre sur la rue. À quatre heures, Savinien, au retour d’une promenade qu’il faisait par tous les temps, trouvait la fenêtre entr’ouverte, et s’asseyait sur le bord extérieur de la fenêtre pour causer une demi-heure avec elle. Le soir, le curé, le juge de paix la venaient voir, mais elle ne voulut jamais que Savinien les accompagnât. Enfin elle n’accepta point la proposition de madame de Portenduère que son fils avait amenée à prendre Ursule chez elle. La jeune personne et la Bougival vécurent d’ailleurs avec la plus sordide économie : elles ne dépensaient pas, tout compris, plus de soixante francs par mois. La vieille nourrice était infatigable : elle savonnait et repassait, elle ne faisait la cuisine que deux fois par semaine, elle gardait les viandes cuites, que la maîtresse et la servante mangeaient froides ; car Ursule voulait économiser sept cents francs par an pour payer le reste du prix de sa maison. Cette sévérité de conduite, cette modestie, et sa résignation à une vie pauvre et dénuée après avoir joui d’une existence de luxe où ses moindres caprices étaient adorés, eut du succès auprès de quelques personnes. Ursule gagna d’être respectée et de n’encourir aucun propos. Une fois satisfaits, les héritiers lui rendirent d’ailleurs justice. Savinien admirait cette force de caractère chez une si jeune fille. De temps en temps, au sortir de la messe, madame de Portenduère adressa quelques paroles bienveillantes à Ursule, elle l’invita deux fois à dîner et la vint chercher elle-même. Si ce n’était pas encore le bonheur, du moins ce fut la tranquillité.