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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

cette chambre me vient des bontés de mon parrain, on peut tout me prendre, je n’ai sur moi que mes vêtements, je vais sortir et n’y rentrerai plus.

Elle alla dans la chambre de son tuteur d’où nulle supplication ne put l’arracher, car les héritiers eurent un peu honte de leur conduite. Elle dit à la Bougival de lui retenir deux chambres à l’auberge de la Vieille-Poste, jusqu’à ce qu’elle eût trouvé quelque logement en ville où elles pussent vivre toutes les deux. Elle rentra chez elle pour y chercher son livre de prières, et resta presque toute la nuit avec le curé, le vicaire et Savinien, à prier et à pleurer. Le gentilhomme vint après le coucher de sa mère, et s’agenouilla sans mot dire auprès d’Ursule, qui lui jeta le plus triste sourire en le remerciant d’être fidèlement venu prendre une part de ses douleurs.

— Mon enfant, dit monsieur Bongrand en apportant à Ursule un paquet volumineux, une des héritières de votre oncle a pris dans votre commode tout ce qui vous était nécessaire, car on ne lèvera les scellés que dans quelques jours, et vous recouvrerez alors ce qui vous appartient. Dans votre intérêt, j’ai mis les scellés à votre chambre.

— Merci, monsieur, répondit-elle en allant à lui et lui serrant la main. Voyez-le donc encore une fois : ne dirait-on pas qu’il dort ?

Le vieillard offrait en ce moment cette fleur de beauté passagère qui se pose sur la figure des morts expirés sans douleurs, il semblait rayonner.

— Ne vous a-t-il rien remis en secret avant de mourir ? dit le juge de paix à l’oreille d’Ursule.

— Rien, dit-elle, il m’a seulement parlé d’une lettre…

— Bon ! elle se trouvera, reprit Bongrand. Il est alors très-heureux pour vous qu’ils aient voulu les scellés.

Au petit jour, Ursule fit ses adieux à cette maison où son heureuse enfance s’était écoulée, surtout à cette modeste chambre où son amour avait commencé ; et qui lui était si chère, qu’au milieu de son noir chagrin elle eut des larmes de regret pour cette paisible et douce demeure. Après avoir une dernière fois contemplé tour à tour ses fenêtres et Savinien, elle sortit pour se rendre à l’auberge, accompagnée de la Bougival qui portait son paquet, du juge de paix qui lui donnait le bras, et de Savinien, son doux protecteur. Ainsi, malgré les plus sages précautions, le défiant juris-