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URSULE MIROUET.

ces quatre années, les plus belles de votre vie ? ne la brisez donc pas pour une pauvre fille.

Après vous avoir exposé, monsieur, les raisons de mon cher tuteur qui, loin de s’opposer à mon bonheur, veut y contribuer de toutes ses forces et souhaite voir sa protection, bientôt débile, remplacée par une tendresse égale à la sienne, il me reste à vous dire combien je suis touchée et de votre offre et des compliments affectueux qui l’accompagnent. La prudence qui dicte cette réponse est d’un vieillard à qui la vie est bien connue ; mais la reconnaissance que je vous exprime est d’une jeune fille à qui nul autre sentiment n’est entré dans l’âme.

Ainsi, monsieur, je puis me dire, en toute vérité,

Votre servante,
Ursule Mirouet. »

Savinien ne répondit pas. Faisait-il des tentatives auprès de sa mère ? Cette lettre avait-elle éteint son amour ? Mille questions semblables, toutes insolubles, tourmentaient horriblement Ursule et par ricochet le docteur qui souffrait des moindres agitations de sa chère enfant. Ursule montait souvent à sa chambre et regardait chez Savinien qu’elle voyait pensif, assis devant sa table et tournant souvent les yeux sur ses fenêtres à elle. À la fin de la semaine, pas plus tôt, elle reçut la lettre suivante de Savinien dont le retard s’expliquait par un surcroît d’amour.

À MADEMOISELLE URSULE MIROUET.

« Chère Ursule, je suis un peu Breton ; et, une fois mon parti pris, rien ne m’en fait changer. Votre tuteur, que Dieu conserve encore long-temps, a raison ; mais ai-je donc tort de vous aimer ? Aussi voudrais-je seulement savoir de vous si vous m’aimez. Dites-le-moi, ne fût-ce que par un signe, et c’est alors que ces quatre années deviendront les plus belles de ma vie !

Un de mes amis a remis à mon grand-oncle, le vice-amiral de Kergarouët, une lettre où je lui demande sa protection pour entrer dans la marine. Ce bon vieillard, ému par mes malheurs, m’a répondu que la bonne volonté du roi serait contre-carrée par les règlements dans le cas où je voudrais un grade. Néanmoins, après trois mois d’études à Toulon, le ministre me fera partir comme