Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

hommage au génie de Dionis, et regardèrent alors leur succession comme sauvée. Ainsi, dans un siècle où les rangs se nivellent, où la manie de l’égalité met de plain-pied tous les individus et menace tout, jusqu’à la subordination militaire, dernier retranchement du pouvoir en France ; où par conséquent les passions n’ont plus d’autres obstacles à vaincre que les antipathies personnelles ou le défaut d’équilibre entre les fortunes, l’obstination d’une vieille Bretonne et la dignité du docteur Minoret élevaient entre ces deux amants des barrières destinées, comme autrefois, moins à détruire qu’à fortifier l’amour. Pour un homme passionné, toute femme vaut ce qu’elle lui coûte ; or, Savinien apercevait une lutte, des efforts, des incertitudes qui lui rendaient déjà cette jeune fille chère : il voulait la conquérir. Peut-être nos sentiments obéissent-ils aux lois de la nature sur la durée de ses créations : à longue vie, longue enfance !

Le lendemain matin, en se levant, Ursule et Savinien eurent une même pensée. Cette entente ferait naître l’amour si elle n’en était pas déjà la plus délicieuse preuve. Lorsque la jeune fille écarta légèrement ses rideaux afin de donner à ses yeux l’espace strictement nécessaire pour voir chez Savinien, elle aperçut la figure de son amant au-dessus de l’espagnolette en face. Quand on songe aux immenses services que rendent les fenêtres aux amoureux, il semble assez naturel d’en faire l’objet d’une contribution. Après avoir ainsi protesté contre la dureté de son parrain, Ursule laissa retomber les rideaux, et ouvrit ses fenêtres pour fermer ses persiennes à travers lesquelles elle pourrait désormais voir sans être vue. Elle monta bien sept ou huit fois pendant la journée à sa chambre, et trouva toujours le jeune vicomte écrivant, déchirant des papiers et recommençant à écrire, à elle sans doute !

Le lendemain matin, au réveil d’Ursule, la Bougival lui monta la lettre suivante.

À MADEMOISELLE URSULE.
« Mademoiselle,

Je ne me fais point illusion sur la défiance que doit inspirer un jeune homme qui s’est mis dans la position d’où je ne suis sorti que par l’intervention de votre tuteur : il me faut donner désormais plus de garanties que tout autre ; aussi, mademoiselle, est-ce avec