Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

pâlir Ursule, il lui dit : — Si tu ne te trouves pas bien, mon enfant, tu n’as que la rue à traverser.

— Qu’avez-vous, mon cœur ? dit la vieille dame à la jeune fille.

— Hélas ! madame, reprit sévèrement le docteur, son âme a froid, habituée comme elle l’est à ne rencontrer que des sourires.

— Une bien mauvaise éducation, monsieur le docteur, dit madame de Portenduère. N’est-ce pas, monsieur le curé ?

— Oui, madame, répondit Minoret en jetant un regard au curé qui se trouva sans parole. J’ai rendu, je le vois, la vie impossible à cette nature angélique si elle devait aller dans le monde ; mais je ne mourrai pas sans l’avoir mise à l’abri de la froideur, de l’indifférence et de la haine.

— Mon parrain ?… je vous en prie !… assez. Je ne souffre pas ici, dit-elle en affrontant le regard de madame de Portenduère plutôt que de donner trop de signification à ses paroles en regardant Savinien.

— Je ne sais pas, madame, dit alors Savinien à sa mère, si mademoiselle Ursule souffre, mais je sais que vous me mettez au supplice.

En entendant ce mot arraché par les façons de sa mère à ce généreux jeune homme, Ursule pâlit et pria madame de Portenduère de l’excuser ; elle se leva, prit le bras de son tuteur, salua, sortit, revint chez elle, entra précipitamment dans le salon de son parrain où elle s’assit près de son piano, mit sa tête dans ses mains et fondit en larmes.

— Pourquoi ne laisses-tu pas la conduite de tes sentiments à ma vieille expérience, cruelle enfant ?… s’écria le docteur au désespoir. Les nobles ne se croient jamais obligés par nous autres bourgeois. En les servant nous faisons notre devoir, voilà tout. D’ailleurs la vieille dame a vu que Savinien te regardait avec plaisir, elle a peur qu’il ne t’aime.

— Enfin, il est sauvé ? dit-elle. Mais essayer d’humilier un homme comme vous ?

— Attends-moi, ma petite.

Quand le docteur revint chez madame de Portenduère, il y trouva Dionis accompagné de messieurs Bongrand et Levrault le maire, témoins exigés par la loi pour la validité des actes passés dans les communes où il n’existe qu’un notaire. Minoret prit à part monsieur Dionis et lui dit un mot à l’oreille, après lequel le no-