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URSULE MIROUET.

exemple la pupille de notre voisin, la petite Ursule, vous vous opposeriez donc à mon mariage ?

— Tant que je vivrai, dit-elle. Après ma mort, tu seras seul responsable de l’honneur et du sang des Portenduère et des Kergarouët.

— Ainsi vous me laisseriez mourir de faim et de désespoir pour une chimère qui ne devient aujourd’hui une réalité que par le lustre de la fortune.

— Tu servirais la France et tu te fierais à Dieu !

— Vous ajourneriez mon bonheur au lendemain de votre mort ?

— Ce serait horrible de ta part, voilà tout.

— Louis XIV a failli épouser la nièce de Mazarin, un parvenu.

— Mazarin lui-même s’y est opposé.

— Et la veuve de Scarron ?

— C’était une d’Aubigné ! D’ailleurs le mariage a été secret. Mais je suis bien vieille, mon fils, dit-elle en hochant la tête. Quand je ne serai plus, vous vous marierez à votre fantaisie.

Savinien aimait et respectait à la fois sa mère ; il opposa sur-le-champ, mais silencieusement, à l’entêtement de la vieille Kergarouët, un entêtement égal, et résolut de ne jamais avoir d’autre femme qu’Ursule à qui cette opposition donna, comme il arrive toujours en semblable occurrence, le mérite de la chose défendue.

Lorsque, après vêpres, le docteur Minoret et Ursule, mise en blanc et rose, entrèrent dans cette froide salle, l’enfant fut saisie d’un tremblement nerveux comme si elle se fût trouvée en présence de la reine de France et qu’elle eût une grâce à lui demander. Depuis son explication avec le docteur, cette petite maison avait pris les proportions d’un palais, et la vieille dame toute la valeur sociale qu’une duchesse devait avoir au Moyen Age aux yeux de la fille d’un vilain. Jamais Ursule ne mesura plus désespérément qu’en ce moment la distance qui séparait un vicomte de Portenduère de la fille d’un capitaine de musique, ancien chanteur aux Italiens, fils naturel d’un organiste, et dont l’existence tenait aux bontés d’un médecin.

— Qu’avez-vous, mon enfant ? lui dit la vieille dame en la faisant asseoir près d’elle.

— Madame, je suis confuse de l’honneur que vous daignez me faire…

— Hé ! ma petite, répliqua madame de Portenduère de son ton