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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

du bien au mal avec une égale facilité. Au lieu de l’amour que le savant porte à sa retraite, Lucien éprouvait depuis un mois une sorte de honte en apercevant la boutique où se lisait en lettres jaunes sur un fond vert :


Pharmacie de Postel, successeur de Chardon.


Le nom de son père, écrit ainsi dans un lieu par où passaient toutes les voitures, lui blessait la vue. Le soir où il franchit sa porte ornée d’une petite grille à barreaux de mauvais goût, pour se produire à Beaulieu parmi les jeunes gens les plus élégants de la haute ville en donnant le bras à madame de Bargeton, il avait étrangement déploré le désaccord qu’il reconnaissait entre cette habitation et sa bonne fortune.

— Aimer madame de Bargeton, la posséder bientôt peut-être, et loger dans ce nid à rats ! se disait-il en débouchant par l’allée dans la petite cour où plusieurs paquets d’herbes bouillies étaient étalés le long des murs, où l’apprenti récurait les chaudrons du laboratoire, où monsieur Postel, ceint d’un tablier de préparateur, une cornue à la main, examinait un produit chimique tout en jetant l’œil sur sa boutique ; et s’il regardait trop attentivement sa drogue, il avait l’oreille à la sonnette. L’odeur des camomilles, des menthes, de plusieurs plantes distillées, remplissait la cour et le modeste appartement où l’on montait par un de ces escaliers droits appelés des escaliers de meunier, sans autre rampe que deux cordes. Au-dessus était l’unique chambre en mansarde où demeurait Lucien.

— Bonjour, mon fiston, lui dit monsieur Postel, le véritable type du boutiquier de province. Comment va notre petite santé ? Moi, je viens de faire une expérience sur la mélasse, mais il aurait fallu votre père pour trouver ce que je cherche. C’était un fameux homme, celui-là ! Si j’avais connu son secret contre la goutte, nous roulerions tous deux carrosse aujourd’hui !

Il ne se passait pas de semaine que le pharmacien, aussi bête qu’il était bon homme, ne donnât un coup de poignard à Lucien, en lui parlant de la fatale discrétion que son père avait gardée sur sa découverte.

— C’est un grand malheur, répondit brièvement Lucien qui commençait à trouver l’élève de son père prodigieusement commun après l’avoir souvent béni ; car plus d’une fois l’honnête Postel avait secouru la veuve et les enfants de son maître.