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Elle redit à son mari les propositions que Petit-Claud avait soi-disant obtenues des Cointet, et qui furent aussitôt acceptées par David avec un visible plaisir.

— Nous aurons de quoi vivre dans un village auprès de l’Houmeau où la fabrique des Cointet est située, et je ne veux plus que la tranquillité ! s’écria l’inventeur. Si Lucien s’est puni par la mort, nous aurons assez de fortune pour attendre celle de mon père ; et, s’il existe, le pauvre garçon saura se conformer à notre médiocrité… Les Cointet profiteront certainement de ma découverte ; mais, après tout, que suis-je relativement à mon pays ?… Un homme. Si mon secret profite à tous, eh ! bien, je suis content ! Tiens, ma chère Ève, nous ne sommes faits ni l’un ni l’autre pour être des commerçants. Nous n’avons ni l’amour du gain, ni cette difficulté de lâcher toute espèce d’argent, même le plus légitimement dû, qui sont peut-être les vertus du négociant, car on nomme ces deux avarices : Prudence et Génie commercial !

Enchantée de cette conformité de vues, l’une des plus douces fleurs de l’amour, car les intérêts et l’esprit peuvent ne pas s’accorder chez deux êtres qui s’aiment, Ève pria le geôlier d’envoyer chez Petit-Claud un mot par lequel elle lui disait de délivrer David, en lui annonçant leur mutuel consentement aux bases de l’arrangement projeté. Dix minutes après, Petit-Claud entrait dans l’horrible chambre de David, et disait à Ève : — Retournez chez vous, madame, nous vous y suivrons…

— Eh ! bien, mon cher ami, dit Petit-Claud, tu t’es donc laissé prendre ! Et comment as-tu pu commettre la faute de sortir ?

— Eh ! comment ne serais-je pas sorti ? voici ce que Lucien m’écrivait.

David remit à Petit-Claud la lettre de Cérizet ; Petit-Claud la prit, la lut, la regarda, tâta le papier, et causa d’affaires en pliant la lettre comme par distraction, et il la mit dans sa poche. Puis l’avoué prit David par le bras, et sortit avec lui, car la décharge de l’huissier avait été apportée au geôlier pendant cette conversation. En rentrant chez lui, David se crut dans le ciel, il pleura comme un enfant en embrassant son petit Lucien, et se retrouvant dans sa chambre à coucher après vingt jours de détention dont les dernières heures étaient, selon les mœurs de la province, déshonorantes. Kolb et Marion étaient revenus. Marion apprit à l’Houmeau que Lucien avait été vu marchant sur la route de Paris, au