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brevet d’invention à prendre, après une expérience faite en commun et secrètement, de son procédé de fabrication sur les bases suivantes : messieurs Cointet feront tous les frais. La mise de fonds de David sera l’apport du brevet, et il aura le quart des bénéfices. Vous êtes une femme pleine de jugement et très-raisonnable, ce qui n’arrive pas souvent aux très-belles femmes ; réfléchissez à ces propositions et vous les trouverez très-acceptables…

— Ah ! monsieur, s’écria la pauvre Ève au désespoir et en fondant en larmes, pourquoi n’êtes-vous pas venu hier au soir me proposer cette transaction ? Nous eussions évité le déshonneur, et… bien pis…

— Ma discussion avec les Cointet, qui, vous avez dû vous en douter, se cachent derrière Métivier, n’a fini qu’à minuit. Mais qu’est-il donc arrivé depuis hier soir qui soit pire que l’arrestation de notre pauvre David ? demanda Petit-Claud.

— Voici l’affreuse nouvelle que j’ai trouvée à mon réveil, répondit-elle en tendant à Petit-Claud la lettre de Lucien. Vous me prouvez en ce moment que vous vous intéressez à nous, vous êtes l’ami de David et de Lucien, je n’ai pas besoin de vous demander le secret…

— Soyez sans aucune inquiétude, dit Petit-Claud en rendant la lettre après l’avoir lue. Lucien ne se tuera pas. Après avoir été la cause de l’arrestation de son beau-frère, il lui fallait une raison pour vous quitter, et je vois là comme une tirade de sortie, en style de coulisses.

Les Cointet étaient arrivés à leurs fins. Après avoir torturé l’inventeur et sa famille, ils saisissaient le moment de cette torture où la lassitude fait désirer quelque repos. Tous les chercheurs de secrets ne tiennent pas du boule-dogue, qui meurt sa proie entre les dents, et les Cointet avaient savamment étudié le caractère de leurs victimes. Pour le grand Cointet, l’arrestation de David était la dernière scène du premier acte de ce drame. Le second acte commençait par la proposition que Petit-Claud venait faire. En grand maître, l’avoué regarda le coup de tête de Lucien comme une de ces chances inespérées qui, dans une partie, achèvent de la décider. Il vit Ève si complétement matée par cet événement qu’il résolut d’en profiter pour gagner sa confiance, car il avait fini par deviner l’influence de la femme sur le mari. Donc, au lieu de plonger madame Séchard plus avant dans le désespoir, il essaya de la rassurer, et il la dirigea très-habilement vers la prison dans la situation d’esprit