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— Dois-je laisser derrière moi la désolation ? dit Lucien.

— J’ai des trésors, tu y puiseras.

— En ce moment, je ferais bien des choses pour délivrer Séchard, répliqua Lucien d’une voix qui ne voulait plus du suicide.

— Dis un mot, mon fils, et il recevra demain matin la somme nécessaire à sa libération.

— Comment ! vous me donneriez douze mille francs !…

— Eh ! enfant, ne vois-tu pas que nous faisons quatre lieues à l’heure ? Nous allons dîner à Poitiers. Là, si tu veux signer le pacte, me donner une seule preuve d’obéissance, la diligence de Bordeaux portera quinze mille francs à ta sœur…

— Où sont-ils ?

Le prêtre espagnol ne répondit rien, et Lucien se dit : — Le voilà pris, il se moquait de moi.

Un instant après, l’Espagnol et le poète étaient remontés en voiture silencieusement ; et silencieusement, le prêtre mit la main à la poche de sa voiture, il en tira ce sac de peau fait en gibecière divisé en trois compartiments, si connu des voyageurs ; il ramena cent portugaises, en y plongeant trois fois de sa large main qu’il ramena chaque fois pleine d’or.

— Mon père, je suis à vous, dit Lucien ébloui de ce flot d’or.

— Voici le tiers de l’or qui se trouve dans ce sac, trente mille francs, sans compter l’argent du voyage.

— Et vous voyagez seul ?… s’écria Lucien.

— Qu’est-ce que cela ! fit l’Espagnol. J’ai pour plus de cent mille écus de traites sur Paris. Un diplomate sans argent, c’est ce que tu étais tout à l’heure : un poète sans volonté.

Au moment où Lucien montait en voiture avec le prétendu diplomate espagnol, Ève se levait pour donner à boire à son fils, elle trouva la fatale lettre, et la lut. Une sueur froide glaça la moiteur que cause le sommeil du matin, elle eut un éblouissement, elle appela Marion et Kolb.

À ce mot : — Mon frère est-il sorti ? Kolb répondit : Oui, montame, afant le chour !

— Gardez-moi le plus profond secret sur ce que je vous confie, dit Ève aux deux domestiques, mon frère est sans doute sorti pour mettre fin à ses jours. Courez tous les deux, prenez des informations avec prudence, et surveillez le cours de la rivière.

Ève resta seule, dans un état de stupeur horrible à voir.