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— Tiens, c’est toi, Petit-Claud ! s’écria Lucien.

— Ta rentrée ici, lui dit Petit-Claud, a stimulé notre amour-propre, nous nous sommes piqués d’honneur, nous nous sommes cotisés, et nous te préparons un magnifique repas. Notre proviseur et nos professeurs y assisteront ; et, à la manière dont vont les choses, nous aurons sans doute les autorités.

— Et pour quel jour ? dit Lucien.

— Dimanche prochain.

— Cela me serait impossible, répondit le poète, je ne puis accepter que pour dans dix jours d’ici… Mais alors ce sera volontiers…

— Eh ! bien, nous sommes à tes ordres, dit Petit-Claud ; soit, dans dix jours.

Lucien fut charmant avec ses anciens camarades qui lui témoignèrent une admiration presque respectueuse. Il causa pendant environ une demi-heure avec beaucoup d’esprit, car il se trouvait sur un piédestal et voulait justifier l’opinion du pays : il se mit les mains dans les goussets, il parla tout à fait en homme qui voit les choses de la hauteur où ses concitoyens l’ont mis. Il fut modeste, et bon enfant, comme un génie en déshabillé. Ce fut les plaintes d’un athlète fatigué des luttes à Paris, désenchanté surtout, il félicita ses camarades de ne pas avoir quitté leur bonne province, etc. Il les laissa tout enchantés de lui.

Puis, il prit Petit-Claud à part et lui demanda la vérité sur les affaires de David, en lui reprochant l’état de séquestration où se trouvait son beau-frère. Lucien voulait ruser avec Petit-Claud. Petit-Claud s’efforça de donner à son ancien camarade cette opinion que lui, Petit-Claud, était un pauvre petit avoué de province, sans aucune espèce de finesse. La constitution actuelle des sociétés, infiniment plus compliquée dans ses rouages que celle des sociétés antiques, a eu pour effet de subdiviser les facultés chez l’homme. Autrefois, les gens éminents, forcés d’être universels, apparaissaient en petit nombre et comme des flambeaux au milieu des nations antiques. Plus tard, si les facultés se spécialisèrent, la qualité s’adressait encore à l’ensemble des choses. Ainsi un homme riche en cautèle, comme on l’a dit de Louis XI, pouvait appliquer sa ruse à tout ; mais aujourd’hui, la qualité s’est elle-même subdivisée. Par exemple, autant de professions, autant de ruses différentes. Un rusé diplomate sera très-bien joué, dans une affaire, au fond