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sible de ne pas comparer cet avoué maigrelet, serré dans ses habits, à une vipère gelée ; mais l’espoir augmentait si bien la vivacité de ses yeux de pie, il mit tant de glace sur sa figure, il se gourma si bien, qu’il arriva juste à la dignité d’un petit procureur du roi ambitieux. Madame de Sénonches avait prié ses intimes de ne pas dire un mot sur la première entrevue de sa pupille avec un prétendu, ni de l’apparition de la préfète, en sorte qu’elle s’attendit à voir ses salons pleins. En effet, monsieur le préfet et sa femme avaient fait leurs visites officielles par cartes, en réservant l’honneur des visites personnelles comme un moyen d’action. Aussi l’aristocratie d’Angoulême était-elle travaillée d’une si énorme curiosité, que plusieurs personnes du camp de Chandour se proposèrent de venir à l’hôtel Bargeton, car on s’obstinait à ne pas appeler cette maison l’hôtel de Sénonches. Les preuves du crédit de la comtesse du Châtelet avaient réveillé bien des ambitions ; et d’ailleurs on la disait tellement changée à son avantage que chacun voulait en juger par soi-même. En apprenant de Cointet, pendant le chemin, la grande nouvelle de la faveur que Zéphirine avait obtenue de la préfète pour pouvoir lui présenter le futur de la chère Françoise, Petit-Claud se flatta de tirer parti de la fausse position où le retour de Lucien mettait Louise de Nègrepelisse.

Monsieur et madame de Sénonches avaient pris des engagements si lourds en achetant leur maison, qu’en gens de province ils ne s’avisèrent pas d’y faire le moindre changement. Aussi, le premier mot de Zéphirine à Louise fut-il, en allant à sa rencontre, quand on l’annonça : — Ma chère Louise, voyez…, vous êtes encore ici chez vous !… en lui montrant le petit lustre à pendeloques, les boiseries et le mobilier qui jadis avaient fasciné Lucien.

— C’est, ma chère, ce que je veux le moins me rappeler, dit gracieusement madame la préfète en jetant un regard autour d’elle pour examiner l’assemblée.

Chacun s’avoua que Louise de Nègrepelisse ne se ressemblait pas à elle-même. Le monde parisien où elle était restée pendant dix-huit mois, les premiers bonheurs de son mariage qui transformaient aussi bien la femme que Paris avait transformé la provinciale, l’espèce de dignité que donne le pouvoir, tout faisait de la comtesse du Châtelet une femme qui ressemblait à madame de Bargeton comme une fille de vingt ans ressemble à sa mère. Elle portait un charmant bonnet de dentelles et de fleurs négligemment attaché par une épingle à