fermenta ; mais principalement chez Lucien qui se trouvait si reprochable. Quant à Ève, elle était bien de ces sœurs qui savent dire à un frère en faute : — Pardonne-moi tes torts… Lorsque l’union des âmes a été parfaite comme elle le fut au début de la vie entre Ève et Lucien, toute atteinte à ce beau idéal du sentiment est mortelle. Là où des scélérats se raccommodent après des coups de poignard, les amoureux se brouillent irrévocablement pour un regard, pour un mot. Dans ce souvenir de la quasi-perfection de la vie du cœur se trouve le secret de séparations souvent inexplicables. On peut vivre avec une défiance au cœur, quand le passé n’offre pas le tableau d’une affection pure et sans nuages ; mais, pour deux êtres autrefois parfaitement unis, une vie où le regard, la parole exigent des précautions, devient insupportable. Aussi les grands poètes font-ils mourir leurs Paul et Virginie au sortir de l’adolescence. Comprendriez-vous Paul et Virginie brouillés ?….. Remarquons, à la gloire d’Ève et de Lucien, que les intérêts, si fortement blessés, n’avivaient point ces blessures : chez la sœur irréprochable, comme chez le poète de qui venaient les coups, tout était sentiment ; aussi le moindre malentendu, la plus petite querelle, un nouveau mécompte dû à Lucien pouvait-il les désunir ou inspirer une de ces querelles qui brouillent irrévocablement. En fait d’argent tout s’arrange ; mais les sentiments sont impitoyables.
Le lendemain Lucien reçut un numéro du journal d’Angoulême et pâlit de plaisir en se voyant le sujet d’un des premiers Premiers-Angoulême que se permit cette estimable feuille qui, semblable aux Académies de province, en fille bien élevée, selon le mot de Voltaire, ne faisait jamais parler d’elle.
« Que la Franche-Comté s’enorgueillisse d’avoir donné le jour à Victor Hugo, à Charles Nodier et à Cuvier ; la Bretagne, à Châteaubriand et à Lamennais ; la Normandie, à Casimir Delavigne : la Touraine, à l’auteur d’Eloa ; aujourd’hui, l’Angoumois, où déjà sous Louis XIII l’illustre Guez, plus connu sous le nom de Balzac, s’est fait notre compatriote, n’a plus rien à envier ni à ces provinces ni au Limousin, qui a produit Dupuytren, ni à l’Auvergne, patrie de Montlosier, ni à Bordeaux, qui a eu le bonheur de voir naître tant de grands hommes ; nous aussi, nous avons un poète ! l’auteur des beaux sonnets intitulés les Marguerites joint à la gloire du poète celle du prosateur, car on lui doit éga-