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pour la honte de l’insuccès. Le père et le fils se quittèrent brouillés. David et Kolb revinrent à minuit environ à Angoulême, où ils entrèrent à pied avec autant de précautions qu’en eussent pris des voleurs pour un vol. Vers une heure du matin, David fut introduit, sans témoin, chez mademoiselle Basine Clerget, dans l’asile impénétrable préparé pour lui par sa femme. En entrant là, David allait y être gardé par la plus ingénieuse de toutes les pitiés, celle d’une grisette. Le lendemain matin, Kolb se vanta d’avoir fait sauver son maître à cheval, et de ne l’avoir quitté qu’après l’avoir mis dans une patache qui devait l’emmener aux environs de Limoges. Une assez grande provision de matières premières fut emmagasinée dans la cave de Basine, en sorte que Kolb, Marion, madame Séchard et sa mère purent n’avoir aucune relation avec mademoiselle Clerget.

Deux jours après cette scène avec son fils, le vieux Séchard, qui se vit encore à lui vingt jours avant de se livrer aux occupations de la vendange, accourut chez sa belle-fille, amené par son avarice. Il ne dormait plus, il voulait savoir si la découverte offrait quelques chances de fortune, et pensait à veiller au grain, selon son expression. Il vint habiter, au-dessus de l’appartement de sa belle-fille, une des deux chambres en mansarde qu’il s’était réservées, et vécut en fermant les yeux sur le dénûment pécuniaire qui affligeait le ménage de son fils. On lui devait des loyers, on pouvait bien le nourrir ! Il ne trouvait rien d’étrange à ce qu’on se servît de couverts en fer étamé.

— J’ai commencé comme ça, répondit-il à sa belle-fille quand elle s’excusa de ne pas le servir en argenterie.

Marion fut obligée de s’engager envers les marchands pour tout ce qui se consommerait au logis. Kolb servait les maçons à vingt sous par jour. Enfin, bientôt il ne resta plus que dix francs à la pauvre Ève qui, dans l’intérêt de son enfant et de David, sacrifiait ses dernières ressources à bien recevoir le vigneron. Elle espérait toujours que ses chatteries, que sa respectueuse affection, que sa résignation attendriraient l’avare ; mais elle le trouvait toujours insensible. Enfin, en lui voyant l’œil froid des Cointet, de Petit-Claud et de Cérizet, elle voulut observer son caractère et deviner ses intentions ; mais ce fut peine perdue ! Le père Séchard se rendait impénétrable en restant toujours entre deux vins. L’ivresse est un double voile. À la faveur de sa griserie, aussi souvent jouée que réelle, le bonhomme essayait d’arracher à Ève les secrets de David.