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feuilles vendues, et ne me demande que ses vingt sous, sa dépense payée. Kolb se couperait la main plutôt que de tirer le barreau d’une presse chez les Cointet, et il ne regarderait pas les choses que tu jettes dans la cour, quand on lui offrirait mille écus ; tandis que Cérizet les ramasse et les examine.

Les belles âmes arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine ; puis, quand leur éducation en ce genre est faite, elles s’élèvent à une indulgence qui est le dernier degré du mépris.

— Bah ! pure curiosité de gamin de Paris, s’écria donc David.

— Eh ! bien, mon ami, fais-moi le plaisir de descendre à l’atelier, d’examiner ce que ton gamin a composé depuis un mois, et de me dire si, pendant ce mois, il n’aurait pas dû finir notre almanach…

Après le dîner, David reconnut que l’Almanach aurait dû être composé en huit jours ; puis, en apprenant que les Cointet en préparaient un semblable, il vint au secours de sa femme : il fit interrompre à Kolb la vente des feuilles d’images et dirigea tout dans son atelier ; il mit en train lui-même une forme que Kolb dut tirer avec Marion, tandis que lui-même tira l’autre avec Cérizet, en surveillant les impressions en encres de diverses couleurs. Chaque couleur exige une impression séparée. Quatre encres différentes veulent donc quatre coups de presse. Imprimé quatre fois pour une, l’Almanach des Bergers coûte alors tant à établir, qu’il se fabrique exclusivement dans les ateliers de province où la main d’œuvre et les intérêts du capital engagé dans l’imprimerie sont presque nuls. Ce produit, quelque grossier qu’il soit, est donc interdit aux imprimeries d’où sortent de beaux ouvrages. Pour la première fois depuis la retraite du vieux Séchard, on vit alors deux presses roulant dans ce vieil atelier. Quoique l’almanach fût, dans son genre, un chef-d’œuvre, néanmoins Ève fut obligée de le donner à deux liards, car les frères Cointet donnèrent le leur à trois centimes aux colporteurs ; elle fit ses frais avec le colportage, elle gagna sur les ventes directement faites par Kolb ; mais sa spéculation fut manquée. En se voyant devenu l’objet de la défiance de sa belle patronne, Cérizet se posa dans son for intérieur en adversaire, et il se dit : « Tu me soupçonnes, je me vengerai ! » Le gamin de Paris est ainsi fait. Cérizet accepta donc de messieurs Cointet frères des